La pensée sous l'échafaudage
La revue ne peut accompagner l’ouverture du musée de la Cité sans avoir une pensée émue pour Philippe Dewitte, son ancien rédacteur en chef, décédé trop tôt après avoir conçu la première présentation de cette installation « Repères ». En janvier 2004, il avait consacré un dossier sur les grandes orientations « vers un lieu de mémoire de l’immigration », décidées par la mission de préfiguration. Comme point de départ, il instaurait cet acte de reconnaissance que désormais « la France se conjugue au passé composé ». Puis il avait résumé ce qui lui semblait être les directions principales du projet de la Cité pour le musée : ennoblir l’expérience migratoire, établir une cohabitation réussie entre histoire et mémoire, traduire les acquis de la recherche dans des langages appropriés (lire Gérard Noiriel) qui puisse garantir la réception la plus large possible de l’histoire de l’immigration (lire Driss El Yazami).
Après trois longues années de mise en œuvre effective du projet, la revue s’est demandé dans quelle mesure ces orientations avaient été suivies et respectées. Car, derrière l’étape de conception du musée, le vrai défi était de passer de l’esquisse au chantier concret, en constituant les équipes, en choisissant les principaux collaborateurs de la Cité (architecte, scénographe, etc.) et en fixant les priorités pour l’ensemble des travaux. C’est ce que les visiteurs pourront découvrir avec l’ouverture du musée.
Ce dossier a voulu donner la parole aux acteurs qui ont porté l’effort de mise en œuvre de l’exposition permanente. Les articles montrent comment ceux-ci n’ont cessé de réfléchir sur cet objet commun tout au long de leur intervention.
La pensée sur ce thème de l’immigration a continué à s’élaborer à partir du schéma initialement fixé, à travers l’expérience des travaux, et elle s’est précisée, renforcée et enrichie chaque fois qu’elle a été confrontée aux questionnements et aux difficultés des uns et des autres. Tous les textes de ce dossier constituent, de ce point de vue, des avancées importantes sur l’état de la réflexion concernant la question d’une collection sur l’immigration, et associant, dans son élan, une interrogation sur les relations entre historiographie et patrimoine de l’immigration, entre architecture et muséographie, entre place de l’art contemporain et productions mémorielles.
Plus encore : la volonté de travailler ensemble, dans des délais très courts et sur un enjeu majeur de la société française d’aujourd’hui, a permis de produire du sens collectivement, mais aussi de la légitimité, du dialogue, de la reconnaissance mutuelle, y compris entre disciplines, cultures professionnelles et sensibilités personnelles. Les frontières sont apparues fort heureusement poreuses, et c’est la collaboration qui a favorisé un enrichissement et des éclaircissements mutuels entre les différentes démarches et les sources les plus diverses (archives, cartographie, images, témoignages, etc.) – autant de facettes explorées d’un même sujet qui se (re)découvre progressivement.
Ces tensions rendues nécessaires par l’action – passerelle entre l’élaboration intellectuelle et la réalisation pratique – ont ainsi défini de nouvelles perspectives pour l’avenir de la Cité. C’est ce qui rend ce dossier aussi passionnant.