Chronique livres

La planète des migrants. Circulations migratoires et constitutions de diasporas à l'aube du XXIe siècle

de Jacques Barou, Presses universitaires de Grenoble, coll."Politique en +", 2007, 180 pages, 14 euros

La Planète des migrants est un livre précis et didactique qui fait le point sur l’actualité des migrations dans le monde : zones de départ, zones d’arrivée, impacts respectifs des migrations, éclairages historiques, nouvelles tendances, déconstruction de quelques théories ou idées reçues, questions identitaires... L’histoire de l’humanité est aussi l’histoire de ses migrations. Depuis la nuit des temps, les raisons de quitter la terre où l’on est né sont connues : économiques, écologiques, politiques. Mais, à ces motifs rationnels, l’auteur, judicieusement, en ajoute d’autres, culturelles ou psychologiques, tout aussi consubstantielles à l’espèce humaine – curieuse de découvertes et d’inconnu. “Même si tous les individus et tous les peuples n’ont pas forcément vocation à migrer, l’être humain en général semble être un homo migrator autant qu’il est un homo economicus ou un zoon politikon.” Ainsi la question des migrations contemporaines est-elle appréhendée dans le temps long de l’histoire et comme une donnée ontologique la débarrassant de sa gaine de suspicion et de mépris, voire d’amnésie. De ce point de vue, Jacques Barou tord le cou à certaines idées reçues : les zones d’émigration ne sont pas les zones les plus pauvres et les candidats au départ les plus miséreux. Pour partir, il faut réunir un minimum de conditions, matérielles et culturelles : les moyens de partir et l’envie de partir. Ainsi, et sans esprit de provocation : la mobilité est un luxe de riche. Sur le plan démographique, l’auteur montre, exemples à l’appui, que les écarts de fécondité ne suffisent pas à eux seuls à expliquer les processus migratoires. Globalement et bousculant un autre lieu commun ou non-dit, Barou explique que les migrations internationales ont été un facteur d’enrichissement matériel, social et culturel du monde. Ainsi, l’affaire est complexe et ne peut se résumer à des explications (ou des solutions) univoques, réductrices, simplistes. Les chercheurs et autres spécialistes s’échinent, quelles que soient leurs grilles de lecture, à le dire. Les responsables politiques peinent, eux, à relayer auprès de leurs concitoyens quelques vérités plus difficiles à entendre (et peut-être à comprendre) que des promesses électorales. À partir d’un tableau des zones de départ et des zones d’accueil, Barou fournit les éléments permettant d’apprécier l’incidence des migrations sur ces différents espaces ou pays. Si, globalement, les pays de départ bénéficient – via les transferts d’argent – de sources de revenus importantes, ces sources de revenus ne semblent pas contribuer pour autant au développement des économies locales – à l’exception, pour l’instant, des expériences espagnole, portugaise et italienne. Pour qu’il y ait une contribution effective, il faudrait réunir un certain nombre de conditions – politiques (plus de démocratie, moins de corruption et de gaspillage), techniques (orientation des capitaux vers les secteurs qui en ont besoin) et même relationnelles (c’est-à-dire l’établissement de liens entre États et ressortissants expatriés). Longtemps fustigé comme “trahison”, l’exil tend à être utilisé comme un atout par certains pays de départ. Globalement, cela n’est pas le cas de l’Afrique subsaharienne, de sorte que “les personnels qualifiés, de plus en plus nombreux à partir, n’ont que peu de chance de pouvoir trouver un poste qui leur convienne, en rentrant dans leur pays d’origine.” En revanche, d’autres pays (Maroc, Vietnam, Inde, Chine – mais jusqu’à quand, se demande l’auteur ?) ont appris à utiliser “leurs” émigrés comme autant d’atouts. “Dans le cadre d’une économie mondialisée, écrit Jacques Barou, le lien entre une grande puissance et sa diaspora représente un atout important, non seulement pour la conquête des marchés mais aussi pour influencer les relations internationales dans un sens qui soit favorable aux intérêts de cette grande puissance.”
Les mouvements migratoires semblent surtout bénéficier aux économies les plus riches, celles qui ont fait, font ou feront encore appel demain – malgré les slogans de campagne politique – à une main-d’œuvre immigrée, à des compétences et à des savoir-faire étrangers, à des hommes et femmes aptes à renouveler les générations... Sans que les relations historiques entre certains pays fournisseurs et certains pays récepteurs n’aient disparu, une tendance nouvelle voit la multiplication des zones visées par les migrations. Les plus attractives d’entre elles accueillent une immigration de plus en plus diversifiée, du point de vue des origines et de celui des profils socioprofessionnels. Ainsi, les “champs migratoires” s’élargissent et, plutôt que de “vagues”, il serait déjà plus juste de parler de “circulations” migratoires, tant la mobilité des personnes tend à croître. Mobilité favorisée par l’augmentation de la période d’étude et de formation au cours de la vie, par la précarisation des emplois et l’internationalisation accrue du marché du travail. Cette mobilité suppose enfin l’existence de liens, de réseaux (voir les migrations latino-américaines, chinoises ou indiennes) installant un nouveau type de présence : les diasporas et, avec elles, la conscience d’appartenir à un vaste ensemble de communautés dispersées. Ces nouvelles “circulations” migratoires contribuent aussi à l’émergence de nouvelles identités : transnationales et pluriculturelles. Des identités désormais de plus en plus négociées.