Les Belles Choses que porte le ciel
Dinaw Mengestu, traduit de l’américain par Anne Wicke Albin Michel, 2007, 309 pages, 21,50 euros
Vivre ailleurs, être immigré, c’est de cela dont parle Les Belles Choses que porte le ciel. Plus précisément, de la vie de Sépha – qui a quitté l’Éthiopie pour Washington, où il est maintenant propriétaire d’une épicerie – et de celle de ses amis : Joseph, le Congolais, qui travaille dans un grand restaurant ; Kenneth, le Kenyan, qui est devenu ingénieur. Les trois amis ont commencé des études supérieures mais seul Kenneth les a achevées, cela ne semble pourtant pas le rendre plus heureux que ses deux compagnons. Sans doute parce que, comme les autres, un ailleurs absent l’accompagne à chaque moment de sa vie. Ils se retrouvent une fois par semaine pour prendre un verre et pour évoquer cette Afrique qui les habite. Leur jeu favori est de citer les noms des dictateurs qui ont ensanglanté l’Afrique et de deviner les pays dans lesquels ils ont sévi, comme si c’était un moyen de se souvenir de leur continent en justifiant le fait de l’avoir quitté et de ne plus y être retourné en dix-sept ans de vie aux États-Unis. On suit avec plaisir la vie de ces trois immigrés, avec leurs doutes et leurs angoisses, mais une autre histoire va s’agréger à celle-là, quand une femme blanche, cultivée et un peu bohème s’installera dans le quartier noir du centre de Washington où Sépha tient son épicerie. Sépha “[crut] tout d’abord que c’était un agent municipal qu’on envoyait dans le quartier pour faire un rapport sur l’état de ces bâtisses vétustes et déterminer s’il fallait retaper ou démolir. Jusqu’à Judith, c’étaient les seules raisons pour lesquelles des Blancs étaient jamais venus dans le coin” ; en fait, Judith vient de s’installer dans ce quartier noir. Elle y a, comme de nombreux Blancs à ce moment-là, investi une maison abandonnée qu’elle fait rénover à grands frais. Ils tenteront de nouer une relation amoureuse, mais une série de quiproquos et de malentendus fera que cette relation n’aboutira jamais à rien de concret. Parce que Judith attend inconsciemment plus que ce que peut lui apporter un épicier d’un quartier délabré, aussi cultivé soit-il. Mais aussi parce que Sépha ne se sent pas assez sûr de lui pour vivre avec cette femme. Sépha, qui rêve plus souvent sa vie qu’il ne s’y investit réellement. Qui a de plus en plus de mal à gérer son épicerie, dans ce quartier anciennement chic devenu entre-temps un ghetto et qui retrouve peu à peu ses fastes d’antan, avec le retour d’une population blanche et aisée. Son épicerie ne colle plus avec le quartier, pas plus que sa vie avec celle de Judith. Il y a aussi ces souvenirs qui l’obsèdent : l’Éthiopie qu’il a fuie pour des raisons politiques, en imaginant que son passage aux États-Unis ne serait qu’une affaire de quelques semaines alors qu’il y vit encore dix-sept ans plus tard. Son oncle l’avait accueilli dans ce grand immeuble de la banlieue de Washington occupé exclusivement par des d’Éthiopiens qui tentaient de reproduire la vie d’Addis-Abeba... Immeuble que Sépha a choisi de quitter pour ouvrir une épicerie, tournant ainsi le dos à la diaspora éthiopienne de Washington sans pouvoir cependant adhérer totalement à l’american way of life, car “un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi en suspension”, en n’appartenant jamais au moment présent, mais souvent à un ailleurs passé – ou rêvé. Dinaw Mengestu raconte ici l’histoire de ses parents plutôt que la sienne. Arrivé à deux ans aux États- Unis, c’est à partir d’entretiens avec ses parents et d’autres Éthiopiens qu’il a su retranscrire – parfaitement – dans son roman cette “double absence” décrite par Abdelmalek Sayad(1), sans pour autant que ce thème soit central dans le récit : plutôt effleuré, esquissé à la manière d’un peintre procédant par fines touches. C’est certainement cette finesse dans l’écriture qui a valu à Dinaw Mengestu d’obtenir le Guardian First Book Award et le prix Lire du premier roman étranger. Dinaw Mengestu prépare à l’heure actuelle un autre roman.