Éditorial

Les migrations chinois : quelles dettes générationnelles ?

Les migrations chinoises sont perçues à tort comme des réalités récentes alors que les diasporas issues de la Chine sont plus que séculaires dans de nombreux pays. Peu de travaux s’inscrivent dans des problématiques familiales englobant une ou plusieurs générations. Les recherches sur les descendants de Chinois sont rares, faute de terrains ou de données statistiques disponibles. La grande enquête menée par l’Ined et l’Insee “Trajectoires et Origines”, enfin publiée en 2016 dans son intégralité, ne présente pas d’analyse de la migration chinoise. La répartition par origine nationale des descendants d’immigrés s’est faite en fonction des groupes d’âges observés. Or les données n’ont pas permis d’isoler les enfants de Chinois dans les classes d’âge retenues pour l’enquête. Ceci est d’autant plus regrettable que la question des “secondes générations” n’a eu de cesse, ces dernières années, d’animer le débat français en soulevant des questions diverses sur l’échec de leur intégration socio-économique, sur leur rupture avec l’identité nationale et le modèle républicain, sur leur dérive communautaire ou leur tentation des extrémismes de tous bords. Face à ces inquiétudes fortes qui alimentent aussi le rejet de l’autre, les jeunes chinois semblent a contrario dépendre de représentations stéréotypées positives, centrées sur le mirage d’une réussite “asiatique” pilotée par les familles et qui s’inscrirait en opposition aux parcours d’autres “secondes générations” rattachées aux migrations postcoloniales. Or, à trop insister sur des trajectoires de réussite, ces images tendent à masquer les difficultés qu’ils rencontrent et les discriminations dont ils sont les cibles pour de multiples raisons.
Ce numéro répare ces lacunes en présentant les travaux les plus récents sur les migrations chinoises dans le monde – en Europe, au Canada, en Zambie, au Japon et en Chine – sous l’angle des dynamiques familiales. Les travaux pluridisciplinaires sur les jeunes proposent des analyses sur les conditions dans lesquelles la migration des parents peut devenir ou non un ascenseur social, les filières d’insertion professionnelle qui leur sont ouvertes, les relations qu’ils entretiennent avec les autres générations et la Chine, les recompositions sociales ou culturelles dont ils sont les acteurs. Les articles montrent comment peut se déployer une parentalité transnationale quand les parents, surtout les mères, se risquent à la migration pour soutenir leur famille, y compris au prix d’un déclassement professionnel et d’une perte de l’estime de soi.
L’autre génération au bout de la chaine familiale n’est pas oubliée dans ce dossier dont certains articles évoquent les anciens, pionniers de la migration ou grands-parents venus rejoindre leur famille installée à l’étranger, en observant leurs relations avec les institutions (action sociale, santé) et leur environnement. Par de larges extraits d’entretiens réalisés dans le cadre des recherches, les auteurs nous livrent des témoignages émouvants de ces différentes générations d’origine chinoise, souvent contraintes par des obligations familiales à rebours et par des injonctions insistantes du milieu familial élargi à “sauver la face”, en dépit de la réalité quotidienne.
Ce dossier identifie une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs qualifiés qui vont reprendre l’activité familiale initiale pour éviter les ruptures tout en cherchant à la développer à l’international et à la professionnaliser en opérant des hybridations entre savoir-faire acquis et notoriété. Bâtisseurs d’un transnationalisme souvent décomplexé, ils s’appuient sur les réseaux internationaux, leur double culture, la valorisation de leurs ressources individuelles et communautaires ici et là-bas.