Muta. Une oeuvre contre la censure
Lorsque la journaliste italo-syrienne Susan Dabbous1 fut capturée en Syrie pendant le conflit, elle était surveillée par la femme de l’un de ses geôliers. Chaque matin, la femme demandait à Susan de quelle façon elle rêvait de mourir1.
Quand je pensais à elle, je songeais : « Susan, de quelle façon rêves-tu d’être libérée ? ».
Je voudrais chuchoter à l’oreille de Fariba Adelkhah cette question à chaque fois qu’elle doute sur son destin, à chaque fois qu’elle a peur de mourir ou peur de ne jamais plus sortir de cette condition. Fariba et ses compagnes d’infortune, à Téhéran et ailleurs, incarnent avec leur corps une parole libre. Elles poussent les murs de la prison à travers la pensée, et elles arrivent à faire entendre leurs voix à distance, malgré l’isolement et l’obligation de se taire. Nous t’entendons fort Fariba et Nasrin. Nous attendons toutes de pouvoir crier de joie à votre libération.
Muta est une oeuvre contre toute forme de censure. Dans ma pratique artistique, je me positionne comme femme Artiste performeuse, je m’exprime avec mon corps. Mais je dois aussi faire face à la discrimination de sexe et de genre. Victime de violence, pendant très longtemps, je me suis tue, j’avais honte, j’avais peur Libérer la parole, les souvenirs de cette expérience, les montrer au travers de ma présence corporelle et m’imposer en tant que femme libre. Souvent, dans mon travail, je cherche à m’échapper d’une cage, d’une condition physique, mais aussi d’un rôle de femme Je le fais à travers des gestes répétitifs, longtemps, avec endurance. J’invoque la puissance de la rébellion pour sortir dans mes performances de ces cages.
Muta est une oeuvre sur la résistance. Résistance à une époque où, partout en Occident, l’art et la culture sont délaissés dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Muta est une oeuvre sur la censure silencieuse, étouffée par les bouleversements sociaux et l’urgence sanitaire, mais toujours une censure.
Oeuvre métaphorique, occultée, enfermée, comme l’est Fariba Elle est dédiée à toutes les femmes et tous les hommes contraints à l’isolement, à la prison, à la torture, à la violence, à la mort. Mais aussi à celles et ceux qui n’arrivent plus à crier, confinés dans leurs corps comme dans une cage. Un cri muet, une douleur assourdissante, qui ne peut être entendue, mais qui porte fort et clair.
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1.Susan Dabbous, Come vuoi morire ? Rapita nella Siria in guerra, Rome, éd. Castelvecchi, 2014.