Paroles sans papiers
Collectif, éditions Delcourt, 2007, 72 pages, 14,95 euros
Paroles sans papiers est une bande dessinée mais pas seulement. Si, au cœur du livre, il y a bien neuf témoignages, livrés ici par neuf dessinateurs, la volonté d’Alfred et de David Chauvel, qui ont coordonné cette initiative, comme celle du rédacteur, Michaël Le Galli, est militante. À tout le moins, ils veulent “tenter de faire comprendre une réalité qui nous concerne tous”. L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur une préface pugnace d’Emmanuelle Béart – déjà présente aux côtés des sans- papiers en 1996, lors de l’évacuation manu militari de l’église Saint-Bernard –, suivie du témoignage de José Muñoz, dessinateur d’origine argentine. Il se referme sur un petit dossier d’une dizaine de pages consacré à l’immigration en France, et tout spécialement aux sans- papiers : chronologie des luttes, évolution juridique, mesures policières, réalité et fantasmes... Au cœur de l’ouvrage, les récits dessins sont signés Lorenzo Mattotti, Gipi, Frederik Peeters, Pierre Place, Alfred, Brüno, Kokor, Jouvray et Cyril Pedrosa. L’ensemble est plutôt une réussite, même si parfois le côté militant – et donc par trop démonstratif – dérange. Qu’elles soient Congolaises, Sénégalaises ou Tchétchènes, qu’ils soient Brésiliens, Ivoiriens, Marocains ou Algériens, tous racontent les raisons de leur départ, de leur fuite parfois, les longues marches, la faim, la peur, l’hostilité permanente, les violences et les vols subis, les viols, la mort aussi. Martine, Serge, Raissa, Malika, Joao, Mariem, Brahim ou Osmane témoignent de l’incroyable indifférence des hommes aux souffrances d’autres hommes : “J’ai dit ma peine à qui n’a pas souffert et il s’est ri de moi”, dit la sagesse kabyle qui en connaît un rayon sur les limites de l’espèce humaine... Débarquer en France signifie que l’on a réussi à sortir vivant d’un périple de plusieurs milliers de kilomètres, à échapper à l’armada policière des États du Sud, qui veille sans ménagement, et enfin, à s’extraire de la grande lessiveuse méditerranéenne. A-t-on pour autant atteint l’Eldorado ? Rien n’est moins vrai ! Ce qui est montré ici, ce sont les journées sans soleil, les intérieurs froids et miteux, la clandestinité et la peur au ventre, un horizon désespérément noir à l’image de la tonalité dominante des dessins. Pour certaines, le rêve de l’Eldorado national débouche sur le cauchemar de la prostitution ou de l’esclavage. Tous racontent la dépossession de soi et de son identité ainsi que la confrontation avec une logique politico-administrative sourde à la souffrance d’hommes, de femmes et d’enfants dont le seul crime est de se débattre pour trouver une place, une petite place, sur cette Terre devenue partout inhospitalière.