Quand musique rime avec politique
Pour ce numéro, la revue explore une autre modalité de rapprochement éditorial avec le Musée national de l’histoire de l’immigration. Il s’agit ici de compléter le catalogue de l’exposition Paris-Londres.
Music migrations (1962-1989), publié en mars dernier en partenariat avec les éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, en approfondissant certains thèmes qui y sont traités avec la même coordination des co-commissaires scientifiques de l’exposition. Ainsi, Angéline Escafré-Dublet nous livre une chronologie politique de trois décennies de migrations post- coloniales à Paris et à Londres, dont elle contextualise les effets sur les législations, les politiques publiques en matière d’immigration et d’accueil, les débats politiques et les mobili-sations urbaines contre le racisme et les discriminations. Elle commente également deux cartes de l’exposition produites à partir des statistiques officielles sur les zones d’implantation des migrations dans les deux métropoles.
Cartographier Paris et Londres, c’est appréhender non seulement les quartiers qui deviennent des lieux de relégation d’où vont émerger, dès les années 1960, les révoltes des immigrés contre les violences policières et les discriminations. C’est aussi comprendre la géographie des espaces alternatifs, animés par des immigrés et des artistes qui, se retrouvant aux marges de la société, inventent ensemble des cultures under- ground d’aujourd’hui. Martin Evans nous rappelle combien la comparaison des deux métropoles nécessite de mobiliser des concepts analytiques différents et complémentaires, qui sont empruntés à plusieurs corpus théoriques, même lorsqu’il s’agit d’une histoire des musiques issues des migrations. Grâce à ce « making of » des approches, les transformations urbaines, sociales et politiques de Paris et de Londres s’exposent aux visiteurs à partir d’une sélection d’archives et de témoignages qui relate aussi ce qui s’est passé sur les scènes artistiques et militantes de ces deux métropoles. La revue a voulu mettre l’accent sur l’histoire des circulations militantes entre Paris et Londres en publiant un article de Mélanie Torrent qui analyse la manière dont les luttes antiracistes et anti-apartheid ont favorisé, de part et d’autre de la Manche, l’émergence de réseaux d’échanges et de combats politiques communs. Londres, qui précède Paris de dix ans dans l’organisation de ces luttes urbaines à forte teneur anti-raciste, devient la capitale de référence pour une jeunesse française qui s’insurge contre les mêmes réalités sociales et politiques à la fin des années 1970. Elle lui ouvre le chemin d’un militantisme investissant toutes les formes d’expression culturelle, au premier rang desquelles la musique, comme principal vecteur des mobilisations. Angéline Escafré-Dublet poursuit l’analyse de l’exposition qui fait de l’art urbain un « allié précieux » des mouvements immigrés. Elle compare pour cela le carnaval reggae de Notting Hill et le festival de théâtre engagé en région parisienne.
Ces formes artistiques investissent l’espace public dans le sillage des mouvements de jeunesse, mais se démarquent d’un art du divertissement pour engager l’art dans le registre de la contestation. La génération 68 est passée par là et a fait souche, y compris pour cette jeunesse qui n’est ni complètement ouvrière, ni entièrement étudiante, mais hétérogène et en partie issue de l’immigration. L’histoire de l’ensemble Kaloum Tam-Tam, réhabilité par Nicolas Treiber, montre comment Paris stimule l’invention d’un théâtre politique africain où convergent étudiants, intellectuels et artistes, et qui poursuit, à travers cet engagement théâtral, la dénonciation de la ségrégation et du racisme que vivent les populations africaines en France, à partir d’une conjugaison maîtrisée du répertoire musical traditionnel, des contes folkloriques et des revendications sociales les plus contemporaines. Ces scènes militantes font de Paris et Londres les berceaux de la créativité mondialisée.