Éditorial

Quand une page se tourne

Rédactrice en chef revue Hommes et migrations ; Responsable des colloques

Avec le décès, le 12 mars 2008, de Lazare Ponticelli, le dernier poilu français, s’achève l’histoire des combattants de la Grande Guerre. Quelques années plus tôt, à la veille d’une cérémonie de remise de la Légion d’honneur qui lui était destinée, disparaissait le 10 novembre 1998, à l’âge de 104 ans, Abdoulaye N’Diaye, le dernier tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale et, en 2002 à La Rochelle, à l’âge de 105 ans, le dernier survivant des travailleurs chinois recrutés pour l’effort de guerre. Tous avaient en commun, au-delà d’une exceptionnelle longévité, d’avoir sacrifié leur jeunesse pour défendre la nation française et la liberté, alors qu’ils n’étaient pas citoyens français mais des immigrés, des sujets de l’empire colonial ou des étrangers mobilisés par les Alliés pour la circonstance. Ces trois figures emblématiques d’un engagement que la France a longtemps tardé à reconnaître se sont éteintes. Une page de notre histoire nationale est définitivement tournée, comme se tourne également celle des soldats ou des résistants étrangers de la Seconde Guerre mondiale, tels que Boris Holban ou Adam Rayski, dont les portraits sont ici retracés. La Cité nationale de l’histoire de l’immigration avait fêté les 110 ans de Lazare Ponticelli, le 7 décembre 2007. Car le dernier poilu était aussi un immigré italien, venu en France rejoindre sa mère à l’âge de 9 ans et naturalisé en 1939 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Avec ce dossier consacré aux soldats étrangers, la revue a souhaité lui rendre hommage en rassemblant des textes qui évoquent cette histoire sur plus d’un siècle. Diversité des origines, multiplicité des relations avec la France, pluralité des interventions, mais un même engagement : longtemps occultée, la participation des étrangers – coloniaux, immigrés, exilés, etc. – aux conflits militaires et aux actions de résistance a ressurgi progressivement dans la mémoire collective, grâce aux efforts incessants d’associations d’anciens combattants pour faire reconnaître cet engagement et pour le commémorer. La publication de témoignages et de travaux historiques de plus en plus nombreux permettent de mieux connaître ces épisodes de notre histoire. Ce dossier reprend certaines contributions d’un numéro de la revue, “Aux soldats méconnus”, paru en 1991, qu’il enrichit et complète, notamment par une réflexion d’actualité sur les conséquences de la professionnalisation récente de l’armée sur l’intégration des jeunes d’origine étrangère à la communauté nationale. “Reconnaître, se souvenir et transmettre” : telle était la devise inscrite sur la gravure, dessinée par Yann Arthus-Bertrand, qui accompagnait la plaque commémorative offerte à Lazare Ponticelli par le secrétariat d’État aux Anciens combattants. Une fois les derniers survivants et les témoins disparus, comment passer le relais aux jeunes générations ? Comment préserver et faire vivre cette mémoire quand ceux qui l’ont bâtie ne sont plus présents parmi nous ? Comment transmettre le sens du combat quand il s’agit de resserrer les rangs autour de la cohésion nationale ? Tels sont les questionnements que la revue Hommes et Migrations continuera de poser à travers ses colonnes, en convoquant le passé pour mieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui.