Sortir des banlieues. Pour en finir avec la tyrannie des territoires.
de Sophie Body-Gendrot & Catherine de Wihtol de Wenden
De quelle “tyrannie” parlent Sophie Body-Gendrot, professeur et directrice d’études urbaines à l’université Sorbonne-Paris IV et Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, par ailleurs membre du comité de rédaction d’Hommes et Migrations ? Et comment “sortir” de ces banlieues qui occupent les unes de la presse nationale, alimentent parfois les promesses sécuritaires d’estrades électorales et mobilisent les pouvoirs publics depuis près d’une trentaine d’années ? La “tyrannie des territoires” tient dans la contradiction observée par ces deux spécialistes entre les aspirations à la mobilité géographique des individus d’une part et des politiques publiques qui visent à maintenir ces mêmes populations dans ces banlieues d’autre part. Alors que de nombreux pays mettent en place des politiques en direction d’abord des populations, la France privilégierait ses “territoires” : cette politique de “bonnes intentions”, “élaborée au sommet de l’État à partir d’utopie de mixité sociale est inadaptée à la réalité (beaucoup de familles déménagent dès qu’elles le peuvent). C’est ce que nous appelons la ‘tyrannie des territoires’”. Tandis que Sophie Body-Gendrot dresse le bilan des politiques d’intégration et des politiques de la ville, Catherine Wihtol de Wenden relate l’histoire des banlieues. L’objet de leur analyse est de “changer l’image des banlieues, réduite aux émeutes périodiques qui agitent les ‘quartiers’, et rendre compte des réalités alternatives”, entendre “l’intégration ordinaire, les nombreuses concessions faites aux identités collectives, aux appartenances multiples, les apports du métissage culturel à la culture populaire et [citant J.-L. Borloo] le fait que ‘les énergies les plus intéressantes du pays se trouvent là’”. Les auteurs privilégient à la fois les destins individuels, “les parcours de réussite” – pas les plus médiatisés –, et l’inscription des banlieues et de la jeunesse “populaire et métissée, multiculturelle” dans le processus global de la mondialisation des cultures. En annexe figurent des témoignages ainsi qu’une utile et concrète recension de la politique de la ville : profil des zones urbaines, avec données statistiques, acteurs et moyens de la politique de la ville. Quelles sont alors les propositions que les auteurs tirent de leurs recherches et enquêtes de terrain ? L’introduction se termine par “seules la mixité sociale, la diversité culturelle et la mobilité géographique peuvent effacer les frontières et sauver le ‘vivre ensemble’ : multiplier les transports urbains, supprimer la carte scolaire, diversifier l’habitat, sortir des ‘quartiers’ les familles et les jeunes qui souhaitent s’en affranchir, rétablir la mixité dans les centres urbains, offrir des loisirs, des sports et des établissements scolaires d’élite obligeant les uns et les autres à sortir de l’‘entre-soi’. Il faudra une volonté politique très forte pour mettre fin à la crise de la citoyenneté dans les banlieues.” Si certaines des perspectives ouvertes ici se retrouvent dans le plan Espoir banlieues ou dans les propositions de la Commission Attali, il n’est pas certain que nos deux auteurs discernent l’existence de cette “volonté politique très forte”. Pour “mettre le paquet”, comme le dit Fadela Amara, il faudrait que tous soient convaincus que les populations des “quartiers” – et notamment les plus jeunes – sont non seulement des citoyens français à part entière mais aussi que la “vitalité”, “la richesse des cultures et des générations”, le “potentiel d’innovation” de la société française se trouvent aussi là. Ce livre montre avec force que “les réformes dans ces quartiers sinistrés ont besoin de temps et qu’elles sont l’affaire de tous.” Il rappelle qu’il y a urgence à mettre en œuvre ce formidable effort de la nation tout entière pour, notamment, “libérer la capacité d’initiative des habitants” eux-mêmes.