Tout simplement noir
Film de Jean-Pascal Zadi et John Wax (France, 2020)
Incroyable ! À une période en pleine crise de la Covid-19 qui a vidé les salles de spectacle au point de désespérer les exploitants de salles de cinéma, un film va ramener un public nombreux dans les cinémas : Tout simplement noir. 700 000 entrées en quelques semaines quand des millions de Français sont encore en vacances !
Co-réalisé par Jean-Pascal Zadi, humoriste, comédien et cinéaste, et John Wax, photographe, qui a signé surtout des clips, Tout simplement noir est une comédie hilarante sur le thème peu traité à l’écran de Noirs parlant d’eux-mêmes.
Réalisé sous la forme d’un faux documentaire qui agrège saynètes avec toutefois un fil conducteur, Tout simplement noir, co-écrit par Kamel Guemra et Jean-Pascal Zadi, par ailleurs comédien principal du film, a bénéficié, malgré un budget modeste, de quelque 3 millions d’euros de Gaumont, l’un des mastodontes du paysage cinématographique, d’une sortie dans 500 salles, ce qui est tout à fait exceptionnel de la part du plus grand distributeur et exploitant français. Et le résultat est à la hauteur des espoirs placés en cette comédie qui, à n’en pas douter, flirtera avec le million d’entrées en termes de fréquentation.
« Bonjour je m’appelle Jean-Pascal, j’ai 38 ans et je suis en colère parce que la situation des noirs dans ce pays est catastrophique. » C’est donc Jean-Paul Zadi, acteur au chômage, qui, en ouverture du film tient ce propos activiste face à une équipe de télévision dans le salon de son petit appartement. Cette équipe audiovisuelle est présente afin de réaliser un documentaire pour rendre compte du projet de Zadi : organiser une grande marche de contestation noire place de la République à Paris. Pendant l’interview, l’épouse, blanche, entre dans le champ et apostrophe Jean-Pascal : « Tu as pensé à suspendre le linge ? » Et voilà qui donne le ton en indiquant au spectateur que c’est d’une comédie qu’il s’agit et non d’un pamphlet dénonciateur au premier degré.
Pour faire aboutir son projet de marche, aidé de Fary, il va démarcher tous les grands noms de la sphère culturelle noire et française, de Claudia Tagbo à Ramzy Bedia en passant par Lilian Thuram, JoeyStarr, Fabrice Éboué, Cyril Hanouna, Soprano, Mathieu Kassovitz, Ahmed Sylla, Fadily Camara et d’autres encore qui, tous, incarnent leur propre rôle lors de scènes plus désopilantes les unes que les autres avec des dialogues frappés du sceau de l’humour et du burlesque. On pense notamment au duo Lucien Jean-Baptiste/Fabrice Éboué qui s’invectivent avec colère sur leur film respectif. Ainsi, Fabrice Éboué est-il un vendu aux Blancs avec « sa comédie sur l’esclavage » quand Jean-Baptiste l’est avec « sa comédie sur des Noirs dans la neige ». De même, Claudia Tagbo, vilipendée par Zadi pour « ses grosses fesses », renvoie l’accusateur critique à « ses chicots », ses grandes dents qui avancent au point d’en faire une grimace repoussante.
On pense aussi à la scène d’anthologie où sont regroupés Jonathan Cohen, Rachid Djaïdani, Amelle Chahbi, Melha et Ramzy Bedia qui se lancent dans un exercice d’autodérision où, là aussi, les répliques fusent avec beaucoup d’à-propos. Sur ce qui s’apparente à un sketch totalement improvisé, Jean-Pascal Zadi le justifie en ces termes : « Le fil conducteur de la scène, c’est l’envie des Arabes, eux-mêmes composites, de se greffer à la marche de JP car ils sont mal vus en ce moment par l’opinion. Le tournage a pris une journée entière ! Capter l’énergie du jour a été une prouesse. J’ai fini la tête en vrac à force d’avoir rigolé… » De même, avec l’humoriste Fary, autre premier rôle de Tout simplement noir, qui joue l’artiste engagé mais motivé surtout par l’argent…
La mise en scène est d’une grande fluidité, générée par une caméra toujours en mouvement. Les réalisateurs, privés de grue ou de travelling, ont su ainsi donner rythme et vitalité à leur film. La force de Tout simplement noir, c’est surtout d’avoir cloué au pilori clichés et stéréotypes sur les Noirs. Non, ces derniers ne sont pas une communauté qui aurait un dénominateur unique et commun, mais des individus tous différents, qu’ils soient Africains ou Antillais. Comme le souligne Zadi lui-même : « Il y a autant d’identités noires en France que de Noirs. »