Ulrich Cabrel, Étienne Longueville, Boza !
Paris, Philippe Rey, 2020, 384 p., 19,50 €
Boza ! pour Hourra ! pour « passer en Europe ». C’est le cri qu’Ulrich a poussé dans la nuit du 19 au 20 février 2017 quand il a franchi la deuxième barrière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla, huit mois après avoir quitté son Cameroun natal parce que ses parents n’avaient plus les moyens de lui payer l’école. Boza !, c’est donc le livre qu’il a écrit avec Étienne Longueville, bénévole à la Cajma 22 et qui a hébergé, pendant un an, l’adolescent à son arrivée en 2017 à Saint-Brieuc. Boza ! est un témoignage sur un mode romancé, qui raconte un périple de huit mois – ce qui comparé à tant d’autres récits est à la fois court et extraordinaire – sur les routes africaines de Bonaloka, quartier de Douala, jusqu’au Maroc en passant par le Nigeria, le Niger et l’Algérie. Un parcours fait de routes, de chemins de traverse, de déserts torrides, cimetières à ciel ouvert où gisent des centaines de corps en décomposition – « le cimetière vivant des rêveurs innocents » écrivent nos auteurs qui invitent à « regarde[r] en face la vérité du monde ». De bidonvilles en « ghettos » sous la coupe de bandes violentes et de satrapes cruels, Ulrich, alias « Petit Wat », finira par arriver dans cette forêt humide qui borde l’enclave de Melilla, la porte de l’Europe. Cent pages sont consacrées à cet épisode où s’organisent des assauts pour franchir, parfois à plusieurs milliers, la grande barrière, le « Monstre à trois têtes ». Une description quasi sociologique de l’organisation des migrants in situ : chefs, soldats, hiérarchies, rivalités de bandes et communautaires, guides, etc.
Boza ! raconte la longue litanie des obstacles, vicissitudes, bassesses d’une humanité, le périple d’un gamin de 15 ans qui devra apprendre à s’endurcir et à jouer de son intelligence et de la ruse pour échapper à la mort, au racket ou à la soumission. Intelligence, ruse et… chance. Car, aussi éprouvantes et douloureuses que soient les souffrances rapportées par le jeune homme, il entre dans cette réussite – Boza ! – une bonne dose de chance. À commencer par Kaba Kaba, le premier passeur qui accepte, alors qu’il n’a pas l’argent nécessaire, de l’embarquer, jusqu’à Kano au Nigeria certes. Là, seul et sans repères, il y rencontre une marchande de beignets (« c’est le visage de Dieu qui s’est glissé dans sa peau »), et son cousin qui le fera passer au Niger. Dans le ghetto de Zinder, une Malienne prend sa défense face au « patron » qui menace de le tuer faute de rançon. Il bénéficiera d’une descente de police pour finalement être évacué avec les autres migrants : « Je devrais te tuer, j’ai déjà tué beaucoup d’hommes, mais je ne sais pas pourquoi quelque chose me retient. Tu vas voyager avec les autres… j’espère que tu te souviendras de moi toute ta vie » assène le patron.
Et puis il y a ces bluffs, à Agadez et à Arlit, où il parvient à embobiner de biens crédules Touaregs, ou ce coup de génie où il se faufile, en passager clandestin, au nez et à la barbe du passeur dans un pick-up censé transporter 12 migrants jusqu’en Algérie. Il finira par se retrouver à poil dans le désert… mais il sera en Algérie !
Bien sûr, il n’y a pas de suspens : Petit Wat arrivera en Europe. De Barcelone, il passera la frontière grâce aux services de BlaBlaCar. À Paris, il file voir la tour Eiffel. Il aimerait passer sa première nuit dans une boîte de nuit parisienne, il la passera dans un hall d’immeuble. Sur les conseils d’un ami, il prend le train pour la Bretagne. Là, il raconte son parcours administratif – l’incrédulité et même le racisme de type colonial des agents et quelques clichés sur l’invasion musulmane – et la solidarité de simples citoyens, incarnation d’une France hospitalière et solidaire. Ils prendront en charge le gamin, comme ils le font avec des dizaines et des centaines d’autres demandeurs d’asile.
« Je ne suis pas assigné au bidonville. Appelle-moi Freeboy. Je laisse mon passé derrière moi et regarde l’avenir incertain avec excitation. Les odeurs de la route dégagent un nouveau parfum, une aube nouvelle, comme un grand vent de liberté. » Le témoignage est écrit sous une forme qui se veut « parlée », directe, avec quelques envolées par trop lyriques pour le coup.