Les mystères de Paris
À l’occasion de l’ouverture de l’exposition Paris et nulle part ailleurs (1945-1972) dirigée par Jean-Paul Ameline, la revue élargit le prisme des disciplines artistiques concernées par la même période. Au-delà des parcours migratoires et des démarches créatives des artistes étrangers présents à Paris, ce numéro interroge le rôle très singulier de Paris comme l’une des principales scènes cosmopolites de la modernité, « là où l’art d’avant-garde s’élabore », et tente de comprendre pourquoi cette capitale culturelle en Europe attire des artistes de tous les horizons. Sébastien Gökalp, directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration et directeur de cette publication, a formulé une double ambition pour ce numéro : apporter une contextualisation critique des circulations artistiques, notamment en les analysant par constellations dessinées en fonction d’une origine géographique commune ; proposer aux lecteurs une plongée historique pour faire « […] ressentir la vibration de ces années parisiennes […], écouter les discussions de café, sentir l’odeur des ateliers, entendre la bande-son jazz de l’époque ».
Une terre d’aventures multiples
Textes synthétiques de recherche, entretiens, biographies d’artistes alimentent ainsi la réflexion sur ce que Paris apporte aux artistes étrangers en quête de formation, de protection dans un lieu d’asile supposé bienveillant, d’enseignement des maîtres établis de l’art moderne, de contacts avec des réseaux interdisciplinaires, d’engagement démocratique par l’art, de reconnaissance internationale, etc. Au sortir de la guerre, Paris a su préserver cette vie bohème, ouverte à toutes les bourses, accessible à l’effervescence des sociabilités de « villages » où ségrégations raciale ou sociale semblent s’atténuer dans une ambiance fraternelle et festive. Paris reste imprégnée d’un esprit de résistance où la volonté d’en découdre avec les académismes esthétiques favorise la créativité des artistes étrangers. Car le « génie français » se nourrit des migrations d’artistes pour inventer de nouveaux langages, de l’abstraction lyrique à l’expressionnisme, en passant par l’art brut, cinétique ou relationnel. Paris offre des espaces de débats passionnés entre plasticiens, intellectuels, musiciens et personnalités littéraires, qui contribuent à une circulation dynamique des idées au sein des courants d’avant-garde que sont le surréalisme, l’existentialisme, puis le situationnisme. Enfin, le maillage serré des académies, des centres culturels, des galeries, des cafés, des librairies, des lieux de vie nocturne et de concerts, dont la revue tente de reconstituer la cartographie pour les 24 plasticiens concernés par l’exposition Paris et nulle part ailleurs (1945-1972), permet l’émergence d’une culture underground avant l’heure où les étrangers s’expriment avec liberté.
Une ville « ouverte jusqu’à l’indifférence »
Paris, plaque tournante des arts, attire également les artistes venus des colonies pour se former aux Beaux- Arts. Mais s’ils échappent aux injonctions « primitivistes », voire aux préjugés racistes, certains d’entre eux subissent une expérience déceptive de Paris, qui les abandonne aux marges de l’aventure moderne et les condamne à l’isolement, puis au retour au pays natal. Si la ville des expérimentations multiples permet de dénationaliser les origines, offrant ainsi aux artistes de se jouer d’identités exclusives, sa fonction de tremplin de la création contemporaine n’opère que très peu pour les artistes issus des colonies qui prennent le risque d’être incompris du public parisien ou de s’engager dans une contestation trop anticoloniale. Ce numéro rend aussi un hommage à ces artistes parfois oubliés de la scène artistique légitime.
Des artistes à Paris en collection
Le Musée a sélectionné une vingtaine d’œuvres de ses collections pour accompagner ce numéro consacré aux artistes étrangers à Paris. Respectant la période de l’exposition Paris et nulle part ailleurs, le portfolio coordonné par de Hédia Yelles-Chaouche peut surprendre par la diversité des styles et des supports (arts plastiques, photographies, affiches militantes et de cinéma, pochettes de disque, etc.) ; il atteste pourtant de la volonté du Musée de rassembler des œuvres engagées sur les problématiques de l’exil dont le discours revendicatif sur l’immigration émerge peu à peu dans le sillage de la révolution de Mai 68.
Une rentrée littéraire sous le signe de la jeunesse
Un long entretien avec la lauréate 2022 du Prix littéraire de la Porte Dorée, Nedjma Kacimi (Sensible, éd. Cambourakis, 2021), ouvre une saison au Musée dédiée à cette jeunesse mal traitée en vertu de ses origines et dont la mémoire est faite de blessures et d’effacement. Les ateliers d’écriture qu’elle projette d’y organiser devront lui redonner courage et espoir à travers la littérature.