Artiste en lutte, activisme par l’art, des affinités contrariées ?
Les artistes veulent sortir de leur tour d’ivoire. Par solidarité de destin, par militantisme ici ou au pays natal, ils investissent l’espace public en s’engageant dans les luttes en faveur des migrations dont ils partagent les expériences à travers leur création. Ce numéro interroge les relations entre migrations artistiques et mouvements sociaux compris dans une acception très large, de l’accueil des migrants jusqu’aux luttes pour les droits et la reconnaissance.
Artiste en exil et jeu des identités sociales
Les articles du dossier scientifique interrogent ce que le processus de catégorisation et les programmes d’aide font aux artistes « migrants », « exilés » ou « réfugiés » eux-mêmes. Alors que le critère de l’exil conditionne leur accès à des actions publiques ciblées, les artistes s’opposent à certains effets de cette catégorie dans le monde artistique, qu’ils perçoivent comme vectrice d’identités assignées, source d’une exotisation de leur oeuvre, voire d’une visibilité misérabiliste ou racialisante. Ils sont nombreux à considérer que les dispositifs d’aide restreignent leur liberté créatrice, les marginalisent au sein des institutions de l’art, y compris sur les problématiques migratoires qui pourtant inspirent leur création. Bref, qu’ils les privent d’une légitimité en tant qu’artistes singuliers en les renvoyant à une position subalterne.La situation entre art et exil ne serait-elle pas
dialectique ? En tant qu’acteurs engagés contre ces dynamiques d’altérisation discriminatoires, ils expriment leur solidarité avec les migrants pour élaborer un « nous » qui ne soit pas limité aux origines communes. L’art opère ainsi des hybridations de répertoires culturels très divers, favorise des passerelles militantes entre générations ou entre groupes sociaux, au-delà de la seule logique d’entre soi qu’entraînent souvent des parcours déployés au sein des communautés. En ce sens, l’activisme par l’art contribue à faire évoluer la légitimation et la production du sens des actions collectives d’aujourd’hui. Mais les retombées des artistes militants, en déplaçant la contestation de la scène politique vers les institutions et les scènes artistiques, sont-elles aussi profitables pour leur carrière artistique ?
Fabriquer le patrimoine du militantisme
Les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration conservent de nombreux objets et représentations des luttes engagées par les populations immigrées (affiches, tracts, banderoles, dessins de presse, photographies, etc.). Le portfolio a retenu une vingtaine de ces oeuvres qui composent un patrimoine du militantisme souvent renvoyé aux oubliettes. Quel discours produire sur ces objets de lutte, politiquement situés, alors qu’ils sont soustraits à la sphère militante pour être conservés et exposés ? Quelles actions l’institution muséale peut-elle imaginer avec les artistes pour faire en sorte que ces témoignages emblématiques irriguent la société traversée par des crises ? La multiplication des résidences menées par des artistes ou des chercheur.es au Musée explore l’histoire des migrations comme un formidable réservoir collectif de récits de soi et des autres. Les ambitions et les résultats de ces projets artistiques contribuent à enrichir l’offre d’un musée qui se veut ouvert sur toute la société, incitant chacun à participer au patrimoine commun. La revue poursuit ainsi la diffusion d’un répertoire de projets mais aussi des démarches, des idées et des réflexions qui les accompagnent pour inspirer d’autres horizons.
Nouvelle chronique « Engagement »
La revue ouvre une nouvelle chronique à l’équipe de recherche du programme CAUSIMMI qui vise à répertorier et à analyser toutes les mobilisations, les organisations et les parcours militants en faveur de la cause des immigrés depuis la fin des années 1960. Elle démarre ici avec des actions qui ont investi le domaine culturel et artistique et se poursuivra sur toute la durée du programme dont les archives d’Hommes & Migrations constituent une ressource importante.