Just Humanis. Manifeste pour celles et ceux qui vivent debout
Mustapha Saïf, Paris, éd. Publiwiz, 2021, 100 p., 11 €
Mustapha Saïf vit à Graulhet, à quelque 60 kilomètres au nord-est de Toulouse. Graulhet, « ignorée » et de « mauvaise réputation » parce qu’« ouvrière et immigrée ». Just Humanis est son premier recueil de textes, une poésie slamée, musclée qui vous attrape par le collet pour bien comprendre les dérives qui conduisent l’humanité à sa perte. Cette poésie se veut tout à la fois cri, colère, état d’urgence car ce qui est en jeu ici est notre survie. C’est la parole des sans voix, des humbles à « l’expression menottée », des immigrés, des exilés, de l’humanité affamée, des réfugiés de Calais, de SOS Méditerranée… toutes et tous passés au rouleau compresseur des inégalités, des discriminations, du capitalisme mondialisé et d’une « démocratie zombie ». « Qui est coupable de l’immigration humaine mutilée ? » demande le poète, qui sait de quoi il parle. Chargé de la lutte contre les discriminations à la mairie de Toulouse, il est aussi un « ancien » du Collectif toulousain « Motivés ».
Le ton est à la bagarre. Un corps à corps éprouvant, d’autant que le poète, celui capable de réinventer nos rêves, laisse parfois place aux ressassements de la militance et à des dires que le lecteur peut ne pas partager (voir « Il faut le dire haut »). Pourtant, Mustapha Saïf parle de la marche du monde bien parti pour s’écraser sur un mur sur lequel figure une longue liste (« milliardaires », « FMI », « Frontex », « jet-set » et « G7 », « robots », « pétrodollars », « Facebook », « Apple », « télé », « génération selfie et tweeter », « communication », « charité », « des plans banlieues et des distributions à la Noël »…). Avant le choc fatal, les destins sont « débités à la carte de crédit », gavés « de valium et de revenu minimum ». « Le réveil risque d’être difficile », à moins que « d’un uppercut, on peut tout défaire pour refaire »… À cela s’ajoute une exigence : « que nos consciences s’obligent à être éveillées ».
Cet anarchiste qui « rêve d’un pays sans roi ni drapeau » tire sa résistance d’une terre proche appelée « Ifriqiya » ! Celles « des hommes libres Imazighen au Nord, Imuhar au Sud, Sioux du Dakota ». Ainsi, aux origines de sa révolte, il y a cette terre d’où sont partis ses parents : « Liberté millénaire tu as fait de moi un enfant amazigh, / courage ancestral tu m’as transmis la langue secrète, / pour vivre debout devant la défaite tyrannique ; / loin des despotes fanatiques, / Humanis nous, les hommes libres, résistons avec ces belles lettres pour ne plus se compromettre. » Le tout servi avec ce qu’il convient de thématiques postcoloniales, et un soupçon d’idéalisation romantique de l’« Ifriqiya », « D’Alger à Casa ».
« Mustapha, la lame affûtée », vieil admirateur du Dormeur du Val, forge des mots « acerbes sans colères », des mots pour « mettre les points sur les i » qui, tout de même, interrogent la part qui reste à l’émerveillement : « il nous reste qui pour qu’on s’émerveille ? ». Dans la nuit noire d’un monde qui dérive, il faut bien que ce recueil, écrit d’abord pour ses trois filles, laisse percer quelques lueurs. Lueurs de la résistance, synonyme de partage et de solidarité (« frères et sœurs d’armes » ou « mobilisation générale »), lueurs des « insurgés au sang-mêlé » ; lueurs de l’enfance (« Made in Graulhet »), de l’amour (« Tiens moi encore la main » ou « va la vie ! ») et du bonheur d’être père (« Nos trois diamants bruts ») : « en confidence cela fait déjà 16 ans que de ton cœur, je puise l’incandescence, de ce bonheur ». Lueurs enfin d’une « âme ensoleillée » qui « tire la langue à ces maudits qui prédisent que le bonheur, / dépend de l’humeur des décideurs, / se compose, se décompose, même pas vrai, moi j’en ris ! Je me parfume de gaieté, /et me saoule à l’eau de la vie ». Fillettes et lecteurs refermeront cet éloge d’une humanité debout et solidaire par cette ordonnance : « Ma nouvelle thérapie, profiter du soleil ! / C’est moi qui décide de mon printemps, / durant l’année, c’est commandé, / j’en prends deux, pour le reste, elle sera soldée par l’été. /c’est comme ça, la joie ! »