L'île rouge
Film de Robin Campillo (France, 2023)
L’île rouge, c’est Madagascar. Avant d’épouser une progression dramatique, le film de Robin Campillo, dont c’est le quatrième long-métrage après 120 Battements par minute, se déroule à Antananarivo au sein de la base militaire française 181. Nous sommes au début des années 1970, et même
si l’île est normalement indépendante depuis 1960, la présence française n’a jamais cessé pour des raisons géostratégiques, avec pour enjeu l’océan Indien.
Sur cette base militaire vit une colonie d’expatriés, dont le jeune Thomas et sa famille qui, du haut de ses 8 ans, observe ce monde d’adultes, lequel lui apparaît aussi étrange qu’immature et surtout préoccupé à prendre du plaisir. Repas toujours fortement arrosés, bains de mer, soirées dansantes, mess des officiers alternent et rythment une vie qui rappelle le bon temps des colonies.
Il y a le couple formé par Colette (Nadia Tereszkiewicz) et Robert Lopez (Quim Gutiérrez), et leurs trois garçons, dont Thomas (Charlie Vauselle) est le benjamin. Ce dernier occupe le plus clair de son temps à dévorer les aventures de Fantômette dans une caisse de déménagement installée au fond du jardin de la maison familiale. Et c’est par les interstices de la caisse qu’il observe et écoute les échanges entre sa mère, son père adjudant et le couple Guedj (David Serero et Sophie Guillemin), lesquels évoquent avec nostalgie leur passé en Algérie, au Maroc et au Tchad, redoutant que le farniente ne prenne fin un jour et qu’il faille aller vivre en métropole. Les Lopez et leurs amis accueillent à leur table Bernard (Hugues Delamarlière) et son épouse Odile (Luna Carpiaux). Ils arrivent de Nancy, mais cette dernière ne s’adaptera pas à Madagascar et quittera plus tard l’île, tandis que son mari est affecté à la base 181. Libéré des chaînes conjugales, Bernard, par ailleurs serveur aux mess des officiers, tombe amoureux d’une autochtone, ouvrière en usine, Miangaly (Amely Rakotoarimalala). Ils ont l’habitude de se retrouver dans le petit bois de bambous où se rendent les amoureux. Thomas y va également avec Suzanne (Cathy Pham), une amie de son âge, passionnée comme lui par les aventures de Fantômette.
L’île rouge s’inspire très fortement de la vie du réalisateur, dont les parents, les frères et lui-même sont nés au Maroc puis sont partis vivre en Algérie. Comme dans le film, le père de Romain Campillo était sous-officier dans l’Armée de l’air française, et leur dernière destination a été bien sûr Madagascar et sa base militaire 181 d’Ivato où officiait son père. Ainsi, l’enfance du réalisateur aura été en quelque sorte conditionnée par les considérations géostratégiques de
la France. Depuis, il a gardé une forte nostalgie de l’île de Madagascar, contrairement au Maroc et à l’Algérie dont il n’a pas ou peu de souvenirs. Comme on le voit dans L’île rouge, des souvenirs malgaches ou malagasy, comme on dit maintenant, sont pléthores : les petits crocodiles vivants offerts aux garçons par leur père, la bague dessinée par Thomas et offerte à sa mère dont il se sent très proche.
Thomas constate que, parallèlement à tout un monde en voie de disparition, le couple que forment ses parents se délite, tant le père a des côtés machos tandis que Colette sombre dans une sorte de mélancolie. Les Malagasy sont absents de l’image durant les deux premiers tiers du film et n’apparaîtront que vers le dénouement, au travers d’une manifestation qui voit le peuple malagasy envahir la rue quand la colonie française et son néocolonialisme plient bagage. Robin Campillo explique d’ailleurs ce dénouement centré sur l’émeute populaire : « Quand j’ai quitté Madagascar et que je suis revenu en France, j’étais encore petit, je n’avais évidemment aucune conscience du colonialisme. Toutefois, même si j’avais de la nostalgie pour ce paradis perdu, je sentais que nous étions une anomalie dans ce pays. D’ailleurs, avant de me lancer dans ce projet, je n’ai jamais voulu y retourner, et si j’ai fait ce film, c’est précisément pour mettre à jour les coulisses de cette nostalgie, mettre à nu la violence silencieuse d’un quotidien apparemment paisible pourtant chargé des échos de la répression de 1947, car ce paradis perdu était surtout un paradis volé. Je voulais faire sentir qu’on ne volait pas seulement des ressources, on volait aussi les images dans le ciel, les paysages, on volait le bonheur de vivre sur cette île alors que notre présence dans ce pays avait une raison très simple : la France voulait garder une place militaire stratégique dans l’océan Indien… »
Et comme on peut le lire à travers les propos de Robin Campillo, le metteur en scène a signé avec L’île rouge, en plus de l’indéniable sensualité dont il l’a imprégné, un film à caractère politique.