Champs libres : films

Le Paradis

Film de Zeno Graton (France, 2023)

journaliste, critique de cinéma

Les films consacrés à des amours homosexuelles entre garçons sont de moins en moins rares. Citons récemment Été 85 de François Ozon (2020), et anciennement Un chant d’amour de Jean Genet (1950), auquel Le Paradis se veut un hommage, ou encore Querelle (tiré d’un roman du même Jean Genet) de Rainer Werner Fassbinder (1982).

La singularité, c’est que l’histoire de Le Paradis se déroule en espace clos, en l’occurrence un centre fermé pour adolescents délinquants, rappelant au passage Le Jeune Ahmed (2019) des frères Dardenne.

Zeno Graton, le réalisateur, est d’origine tunisienne et vit en Belgique où il a réalisé ce premier long-métrage après des études à l’Institut national supérieur des arts de Bruxelles (Insas) et plusieurs courts-métrages de fiction primés dans de nombreux festivals internationaux, dont Mouettes (2013) et Jay parmi les hommes (2015), tous deux diffusés sur la chaîne Arte.

Pour Le Paradis, Zeno Graton s’est inspiré de l’histoire de son cousin qui est passé par les centres fermés pour mineurs délinquants… et c’est le cas de Joe (Khalil Ben Gharbia) qui est toutefois sur le point d’en sortir. Si son juge approuve sa libération, il ira vivre en autonomie. Mais l’arrivée d’un autre jeune, William (Julien De Saint-Jean), va modifier le comportement de Joe, d’autant que les deux jeunes gens de 17 ans vont éprouver de l’attirance l’un pour l’autre. Dès lors, Joe va remettre en question son désir de liberté, laquelle est programmée dans quelques semaines.

Évacuant les scènes de sexe, souvent empreintes de brutalité dans certaines productions, le cinéaste fait oeuvre de sensibilité en insistant sur la tendresse qui anime les deux jeunes gens. Leur relation se développe avec harmonie, jusqu’au jour où William apprend la libération prochaine de Joe et nourrit alors envers lui un certain rejet qui ira même jusqu’à l’affrontement.

Les amours adolescentes étant presque toujours frappées du sceau de la clandestinité, celle qui unit Joe et William n’échappe pas à la règle… qu’on retrouve notamment dans le film d’Olivier Peyon Arrête avec tes mensonges (2023), dans lequel Julien De Saint-Jean tient d’ailleurs l’un des principaux rôles.

Dans le film, au moment de sa sortie, l’avis finalement défavorable du juge va prolonger l’enfermement de Joe de trois mois. Ce lieu fermé n’autorisant aucune intimité entre les deux êtres, ils communiquent entre eux en cognant contre le mur qui sépare leurs deux chambres. Pendant un cours d’apprentissage dans l’atelier de soudure, William va provoquer un incendie, prélude à leur fuite commune. Quelle va être désormais le sort de Joe ? À ce propos, le réalisateur choisit pour dénouement une fin ouverte…

Zeno Graton confesse qu’il s’est beaucoup interrogé après l’enfermement de son cousin qui aurait pu connaître le même destin. « Même si j’ai un “passing” qu’on dit “white”, que cela ne se voit pas que je suis tunisien, j’ai assisté à ce déploiement d’un racisme institutionnel. Mon cousin a été incarcéré pour des faits mineurs, et j’ai vu le mépris de la société envers ces jeunes judiciarisés, et l’impasse systémique dans laquelle ils tombent et qui les mène souvent en prison ou à la rue. J’ai développé un regard critique sur ces institutions qui sont invisibilisées, en essayant d’y poser un regard qui ne serait pas manichéen. Mais il y a eu aussi et surtout l’envie de raconter une histoire d’amour entre deux ados comme j’aurais aimé en voir à cet âge-là. Même si depuis le début de mon écriture le paysage sociétal a pas mal changé, il y a toujours eu au coeur du projet le désir que le sentiment amoureux soit désinhibé. À 32 ans, je suis éloigné d’une grosse dizaine d’années de cette jeunesse qui ne s’excuse plus, qui est fluide, puissante, et j’avais vraiment besoin de placer ce film à leur hauteur, pas un centimètre en dessous. Ce qui a guidé l’écriture, c’est avant tout l’envie de mettre en scène un personnage queer et arabe qui est en pleine possession de son désir pour les garçons et qui se met en mouvement pour essayer d’avancer sur ce chemin. Tous les personnages maghrébins confrontés aux questions queer sont habituellement dans le placard, soumis à une homophobie internalisée, ou encore objets de désir, uniquement avec des trajets  douloureux teintés le plus souvent de relents islamophobes. »