Champs libres : films

Le Principal

Film de Chad Chenouga (France, 2023)

journaliste, critique de cinéma

Les premières images du film Le Principal de Chad Chenouga renseignent sur la psychologie du personnage central : un plan en travelling avant, caméra à la main, et une démarche autoritaire et ferme dans les couloirs du collège de banlieue où exerce, en tant que principal-adjoint, Sabri Lahlali (Roschdy Zem, impressionnant de présence). Quelques scènes avec une élève difficile situent ce trait de caractère d’un professionnel de l’éducation qui mène sa barque avec assurance. Sabri a tout de l’éducateur idéal. À son autorité naturelle, il ajoute une attention bienveillante aux élèves de son collège et gère avec discrétion la présence dans l’établissement de son ex-femme Noémie (Marina Hands, très sobre), professeure de leur fils Naël (Jibril Bhira, très bon), élève en 3e et en passe de concourir pour le brevet des collèges. Cette échéance, pour laquelle ce père attentionné rêve d’excellence pour son fils qu’il souhaite voir rejoindre un établissement plus huppé, va projeter le principal-adjoint dans un engrenage tel qu’il va falsifier les corrigés de l’examen en faveur de Naël, allant ensuite jusqu’à lui demander de s’accuser du délit de façon à préserver ses propres chances de promotion, lui qui est en attente d’une affectation dans un autre collège mieux considéré. Par ailleurs, Sabri est contraint de gérer son frère Saïd (Hedi Bouchenafa, excellent), lequel est toxico et continue d’occuper la cité de banlieue dont sa famille est originaire. La relation au frère donne lieu à quelques scènes remarquables au point que, lors d’une altercation avec des habitants de la cité, Sabri se fera tabasser.

Ce qui est frappant et fait l’originalité du film, c’est la description d’un personnage central plutôt complexe et ambigu et pas du tout monolithique du point de vue de la psychologie. Autre figure intéressante dans le récit, le personnage de la principale qu’interprète Yolande Moreau (Estelle). Très proche de Sabri, dont elle loue les qualités à la fois humaines et professionnelles et à qui elle voue une affection et sans doute plus…, elle est admirative du parcours de son adjoint, venu d’un ensemble HLM de la ville de Mulhouse, qui a su s’en extraire et emprunter l’ascenseur social.

À partir de ce canevas au demeurant plutôt mince, Chad Chenouga tisse un propos intime où il est question de méritocratie, d’intégration, et surtout du piège du mensonge dans lequel il va s’enferrer. Comme le note fort justement Maroussia Dubreuil dans le journal Le Monde : « À ce prosaïsme de l’entame, Chad Chenouga joint l’effet d’un piège mental dessiné par une mise en scène rigoureuse. Pris dans des contre-plongées et des travellings dans la longueur des couloirs du collège, Sabri Lahlali apparaît comme sa propre sentinelle, chargée de protéger son parcours d’excellence et celui à venir de sa progéniture. » Il faut noter que cette histoire telle que racontée dans Le Principal s’inspire de faits réels, l’intrigue ayant été fournie au réalisateur par deux professeurs d’histoire géographie qu’il a rencontrés. Évoquons aussi le passé de Chad Chenouga, qui s’est révélé en 2001 avec 17, rue Bleue, son premier long-métrage, dans lequel il chroniquait, avec un mélange troublant d’âpreté et de tendresse, l’effondrement psychologique de sa mère, au point qu’il a fait, ado, un long passage par la Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS), ce qu’il racontera en 2017 dans De toutes mes forces, où il met en scène un orphelin placé en foyer et qui joue les dandys pour se faire accepter par les élèves bien nés de son lycée. À la question de savoir comment s’est construit le personnage de Roschdy Zem sous les traits d’un père a priori peu sympathique, mais dont les fêlures vont se révéler sous la carapace, le réalisateur répond ceci : « Au départ, je savais très peu de choses sur le personnage. Je voulais pouvoir rêver dessus parce que j’aime bien que les choses soient ambigües, même si dans toutes les commissions de films on me reprochait ce côté aride, presque antipathique, mais sa construction s’est faite pas à pas. Il y avait ce que j’en savais, et puis les couleurs qu’on lui a données avec ma coscénariste Christine Paillard. D’abord, il a fallu lui créer un entourage, des collègues, une famille… Et en dehors de son milieu, il y a l’échéance de l’examen de son fils, son angoisse qui monte, le fait qu’il attend sa promotion, ce qui l’inquiète aussi, et puis cet acte absurde qu’il commet. »

Pour l’anecdote, mentionnons aussi une certaine parenté avec le film Les Miens de Roschdy Zem que le réalisateur a connu plus jeune à Clichy. À l’instar d’un Sami Bouajila, Chad Chenouga réalise également un parcours remarquable dans le monde du 7e art.