Champs libres : films

Omar la fraise

Film de Elias Belkeddar (France, 2023)

journaliste, critique de cinéma

Jubilatoire, tonitruant, drôle, comique, sarcastique, tendre, émotionnel, les qualificatifs ne font pas défaut pour définir Omar la fraise du franco-algérien Elias Belkeddar dont c’est le premier long-métrage, amplement ovationné lors de sa projection à La Séance de Minuit au Festival de Cannes 2023.

Les voyous ont dans la vie au cinéma des surnoms imagés qui dissimulent leurs véritables identités. C’est le cas ici d’Omar la fraise, dont on aura plusieurs versions durant le film avant de découvrir vers la fin sa véritable signification. Et c’est un Reda Kateb transformé physiquement : cheveux mi-longs gominés un poil vulgaires, la tchatche et les fringues clinquantes, qui épouse les traits d’Omar, incarnant un personnage hors norme comme il l’a rarement fait dans ses nombreux rôles précédents.

Le film déroule la dérive en Algérie de ce bandit franco-algérien qui a fui l’Hexagone suite à de nombreux méfaits qui lui ont valu une recherche judiciaire pour vingt ans. Il est accompagné à Alger par Roger (plus qu’excellent Benoît Magimel), auquel le lie une amitié d’enfance des plus solides.

L’ouverture du film fait apparaître notre duo en cavale au Sahara, suite à la drogue dont ils se sont emparés et qu’ils entendent écouler à Alger auprès de trafiquants sous la houlette du caïd local (Fawzy Saichi). Omar va nouer des liens avec une bande d’ados, des délinquants redoutables issus des grands ensembles, en l’occurrence le Climat de France, quartier populaire magnifié par Merzak Allouache dans Omar Gatlato en 1976, hommage en forme de clin d’oeil d’Elias Belkeddar. Ce dernier multiplie les références cinéphiliques qui lorgnent également vers Tarantino l’Américain et Kitano le Japonais.

Omar et Roger occupent une vaste demeure en bord de mer, aussi vaste qu’étrange dans son dénuement, avec une piscine sans eau qui suscite une réplique culte d’Omar supportant mal son éloignement de la France, malgré son adaptation à la vie algéroise grâce à un emploi de contremaître dans une usine qui fabrique des gâteaux orientaux. Il y fait la connaissance de Samia (Meriem Amiar, brillante première apparition à l’écran) qui dirige la chaîne de fabrication, détournant un certain nombre de pâtisseries au profit d’une association de jeunes démunis de son quartier, ce que ne va pas tarder à découvrir Omar qui n’est pas du tout insensible au charme de la jeune fille.

Omar la fraise regorge de scènes d’anthologie, dont notamment une soirée arrosée dans une boîte de nuit, et un rap de Roger, verre à la main, sur la grandiose terrasse face à la Méditerranée. Et tout au long du film, le choix très varié des musiques en soutient habilement la grande énergie.

Les mélanges de genres, sortent d’alliages frappés du sceau du paradoxe, font la force et la vitalité du film qu’on pourrait dire « punchy », oscillant en permanence entre le rire et l’horreur, le dérisoire et la flamboyance, le calme du désert et le chaos de la grande métropole, entre la rigolade et le sang, les trafics de drogue et les gâteaux.

Sur ces aspects, Elias Belkeddar explique : « Cela vient des récits de mon enfance délivrés par mon père et ma grand-mère. J’ai grandi au sein d’une famille qui avait sa propre façon de vanner, de parler, d’entendre des histoires a priori dramatiques relatées avec ironie et vitalité. Je retrouve ça dans tout le bassin méditerranéen, ce besoin de se raconter, d’oraliser, de jouer sur le tragi-comique en permanence, tout le temps, au quotidien ! C’est assez classique finalement ce réflexe d’exposer tout ce qui est affreux de manière joyeuse, transgressive, corrosive. Pour beaucoup d’Algériens, c’est un sport national. Ils vont énormément rire et sourire quand ça ne va pas. Cette façade cache des gens très émotifs et aussi très fiers. Le personnage d’Omar la fraise incarne ça. C’est une synthèse entre la pudeur et l’exubérance, c’est un ultra violent en totale vulnérabilité ! »

De fait, par-delà le ton de la comédie, la violence est omniprésente dans le film avec, dès le début, un combat de boucs avec paris à la clé, dans la cour de la cité où brille l’absence de la police, sans parler de la bascule du film dans le drame dont on ne révélera pas ici le dénouement. Le réalisateur raconte aussi que les armes à feu ayant été éradiquées par l’armée à l’époque du terrorisme islamique, ce sont les couteaux et les sabres de samouraï qui sont apparus au sein d’une partie des jeunes des quartiers pauvres, allant jusqu’à la pratique de la scarification. Pour ne pas blesser l’autre, on s’automutile, la cicatrice devenant un motif tragique, millénaire et contemporain.

Avec Elias Belkeddar, l’Algérie découvre avec Omar la fraise un futur grand, digne héritier de Merzak Allouache.