Que m’est-il permis d’espérer ?
Documentaire de Raphaël Girardot et Vincent Gaullier (France, 2019)
Prix du documentaire au Festival du film social
Le film s’ouvre sur l’attente des réfugiés/exilés pour pénétrer dans le « centre de premier accueil » réservé aux hommes et situé porte de la Chapelle à Paris. Ceux qui ont la chance d’y accéder y resteront 10 jours au plus. Ils y sont en transit, avant le rendez-vous en préfecture qui leur permettra d’être fixés sur leur sort… temporairement… Le film insiste sur cette phase de transit précieuse : ils vont pouvoir être écoutés, soignés, accompagnés. Mais aussi se restaurer et se reposer dans la tranquillité d’un lit protégé des intempéries, du vol et des interventions musclées de la police. L’État français a obligation de leur fournir accompagnement et soin en tant que signataire des Conventions de Genève sur le droit d’asile. Mais l’État français ne fait rien de tout cela. Pire, il laisse s’installer une situation de précarité et d’inhumanité… que Michel Agier, ethnologue et anthropologue engagé, qualifie si justement de « politique de non accueil » : fermeture des frontières, entrave à la liberté fondamentale de circulation, « guerre » aux migrants justifiée par une position sécuritaire.
Pourtant, il existe, en marge, un accueil à la française des exilés. Ce film en est le témoignage. Les bénévoles des associations d’aide aux migrants, le Samu social, Emmaüs Solidarité, toutes les personnes chargées de l’accueil dans le camp se relaient auprès de ces hommes. Les accueillants font preuve d’une grande patience et d’une profonde humanité et, ce faisant, rendent aux réfugiés leur propre humanité et leur individualité. Ceux-ci déclinent identité, pays d’origine et date de naissance. Ils sont pris en charge et accueillis dans des chambrées de quatre ou plus, espaces de partage et de repos : un lieu à soi pour quelques jours. Là se nouent des liens et des échanges entre camarades d’infortune. Toutes les formes de communication sont à l’œuvre, le camp est une véritable tour de Babel.
Le film navigue d’un groupe à l’autre et saisit des scènes variées et extrêmement émouvantes. C’est l’entraide, incarnée par Salomon, préparateur en pharmacie en Éthiopie, qui devient le traducteur d’un compatriote. C’est l’optimisme du Nigérien Johnson, qui rêve de devenir un « être humain accompli » et partage ses créations musicales avec Pavel. C’est la fierté de deux Somaliens qui chantent leur hymne national. Intimidés au début, ils finissent par se redresser. C’est la surprise d’un groupe d’Irakiens d’entendre un des leurs chanter une chanson roumaine : passé par la Roumanie, il témoigne ainsi de son périple à travers le monde et emporte avec soi un petit bout de son pays.
Les co-réalisateurs de ce documentaire, Raphaël Girardot et Vincent Gaullier, ont passé dix-huit mois dans ce centre de La Chapelle. Ensemble, ils réalisent des documentaires engagés qui décrivent la société avec une « approche de naturaliste », sans intervenir ni commenter dans le récit. Les réalisateurs ont peu de temps pour nouer le lien de confiance qui permet à ces exilés de se raconter. Que ce soit Yussuf, Pavel, Al Hassan et bien d’autres, tous ces individus ont une famille, un pays, un métier, une histoire. Ils expriment leurs doutes, leurs peurs et leur tristesse : le courage de tout quitter lorsque son pays traverse une crise qui rend la vie… invivable. Ces hommes ont fui la guerre, la famine, la torture, la dictature. Leur retour est impossible. Tous rêvent de paix et gardent espoir malgré la résignation. Raphaël Girardot explique : « Ces exilés avaient envie de parler. » Pourtant, il ne leur est pas toujours facile de raconter leur voyage qui dure depuis des mois, pour certains depuis des années. Souvent, le récit est interrompu par l’émotion qui les submerge… Tous témoignent des atrocités vécues sur la route : la prison en Libye, l’esclavagisme, la torture, le danger de mort quasi permanent. Ces hommes partout devenus indésirables.
Le centre de La Chapelle a été ouvert par la Mairie de Paris et Emmaüs. L’illégalité de cette structure a conduit la préfecture à sanctionner la Mairie de Paris. Le centre a été fermé. Puis la préfecture a conditionné la réouverture à la présence d’une antenne de ses services sur le site. Emmaüs n’a pas accepté cette ingérence administrative et le centre n’a pas rouvert…
Les réalisateurs veulent éviter de faire un film de plus sur la violence des camps. Et c’est la violence institutionnelle qui marque dans les scènes tournées à la préfecture. Le film donne à voir la réalité administrative dans sa plus sombre réalité. Face au langage administratif incompréhensible et aux procédures maltraitantes, on oublie l’humanité et l’entraide dont ces hommes ont bénéficié brièvement.