Éditorial

Faire école avec tous les élèves

rédactrice en chef de la revue

La France accueille près de 70 000 élèves migrants allophones par an. Ils ont vécu des parcours migratoires hétérogènes, certains des traumatismes, d’autres un exil fait d’arrachement familial. Souvent, ces enfants partagent un sentiment d’insécurité, une précarité sociale et juridique que l’institution scolaire ne peut méconnaître. Comment l’école, cet espace de socialisations par excellence, affronte-t-elle ces situations complexes pour assurer sa mission éducative auprès de ces élèves ? L’originalité de ce numéro sur l’école confrontée aux migrations tient à l’analyse centrale des perceptions que les élèves migrants ont de l’école et de leur scolarité, en se distinguant de la seule évaluation de leurs performances dans les dispositifs d’accueil dont les acronymes se multiplient au fil des années.

Le rôle prédominant des enseignants

Mal formés à la différenciation pédagogique, les enseignants disposent de peu d’outils pour décrypter les situations des élèves, des moyens didactiques et pédagogiques limités. Pourtant, quand ils s’investissent dans ces dispositifs d’accueil, ils retrouvent un sens à leur mission éducative, interrogent leurs pratiques éducatives, découvrent les vertus de la pluridisciplinarité et des partenariats associatifs ou éducatifs hors scolaires. Leur engagement personnel parvient à transformer l’apprentissage du français en levier d’inclusion pour les élèves allophones et l’accueil à l’école en hospitalité partagée par toute la communauté scolaire.

Des écosystèmes adaptés aux contextes locaux

L’étude des expériences positives de scolarisation des enfants allophones décrites dans ce numéro permet de dégager des pistes utiles pour les professionnels. Il s’agit d’établir un climat de confiance avec les parents et les élèves, de valoriser les patrimoines culturels et linguistiques dans la classe, de s’appuyer sur les langues familiales comme des ressources et des leviers d’apprentissage, d’établir des passerelles entre les langues au sein d’une « école-monde », de favoriser les relais, les réseaux d’entraide et le co-enseignement sur la base d’une didactique collaborative et participative avec les élèves. Ces démarches qui stimulent la créativité des élèves permettent de les sortir d’une altérité réductrice et misérabiliste pour leur insuffler une envie de s’en sortir. Le Musée national de l’histoire de l’immigration présente également des projets pédagogiques élaborés pour déconstruire l’histoire de l’immigration en investissant la littérature, le cinéma et le patrimoine des affiches militantes. D’autres projets portent sur la formation des enseignants autour des réalités plurilingues en créant des partenariats entre universités et académies dans le cadre des programmes de l’agence Erasmus+.

Des collections sur les bancs de l’école

Les collections du Musée sur l’école prouvent l’ancienneté de la France comme patrie éducative, dotée d’une constellation d’institutions attractives. Des objets emblématiques témoignent de la fierté de parcours scolaires réussis, de la bienveillance de certains enseignants et de l’émancipation à travers les savoirs : photographies de classe, cahiers d’école, prix d’honneur ont été transmis au patrimoine de l’immigration à ce propos. Les collections font ainsi le portrait d’une société française en cours de démocratisation et de diversification culturelle. Mais elles révèlent également les traces du passé colonial sur la formation des représentations sociales des élèves, à l’image de ce planisphère des colonies françaises de Vidal-Lablache utilisé dans les cours de géographie dans les années 1960. La visibilité religieuse à l’école interroge aujourd’hui les défis que l’institution scolaire doit affronter pour lutter contre les stéréotypes et les discriminations en cours dans la société française.

Une sociologie de combat

Pour clore cette année de célébration de l’indépendance algérienne, la revue publie trois articles autour de la figure d’Abdelmalek Sayad, fondateur d’une sociologie du fait migratoire, dont les travaux ont investi plus que d’autres le rôle de l’école dans les trajectoires des enfants de l’immigration algérienne. Amin Pérez publie avec le soutien du Musée un essai remarquable sur la collaboration entre Sayad et Bourdieu et sur l’invention d’une sociologie « en actes » comme un instrument de connaissance de la société et de résistance, dont il précise les contours et les pratiques de recherche innovantes. Francine Muel-Dreyfus s’intéresse à la pratique des entretiens que Sayad développe comme outil d’autosocioanalyse et de compréhension des relations intergénérationnelles au sein des familles algériennes en France. Stéphane Beaud revient sur la réception par les lycéens de son livre La France des Belhoumi. Portrait de famille paru en 2018.