Les chantiers d’un palais
Peu de publications abordent la question de la genèse du Palais de la Porte Dorée en multipliant les points de vue sur ce vaste chantier impérial. Partant de ce constat, la revue publie une grande partie des contributions du séminaire de muséologie consacré au monument organisé en 2023 par les équipes du Palais, en partenariat avec l’université Paris-Sorbonne Nouvelle.
Radiographie d’un « paquebot »
Le Palais de la Porte Dorée est souvent comparé à un navire surmontant les tempêtes de l’histoire mondiale de la France. Son héritage colonial est ici décrypté dans sa complexe puissance symbolique grâce à un examen de son programme architectural, décoratif et muséographique, et du contexte historique dans lequel il s’inscrit. Dans l’entre-deux-guerres, la France fait de la célébration de sa domination coloniale la clé du prestige de sa mission « civilisatrice ». À l’orée de la crise financière mondiale et des luttes indépendantistes, les expositions coloniales se succèdent, tout en orientant la conception du bâtiment. Construit avec les talents illustres de l’Art déco qui connaît son apogée, c’est un musée « vitrine » de la France et de ses colonies qui voit le jour, sans collection préalable, sans programme de recherche ni de conservation. Par sa frise monumentale et ses fresques intérieures, il fait rayonner une « fiction » coloniale diffuse, fondée sur la hiérarchie raciale des peuples dominés, l’esthétique de l’exotisme et le mythe de la pacification. Le récit du bâtiment et le choix initial des œuvres d’art du musée permanent des Colonies portant sur l’histoire de la colonisation, en rupture avec l’avant-garde parisienne, ne résisteront pas à l’éclatement progressif de l’Empire. Ce musée en perpétuel devenir fut l’objet d’incessantes réflexions muséographiques sur l’objet auquel il devait répondre. À la faveur des décolonisations, il se convertit en musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, puis accueille en 2007 la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, non sans polémique sur son installation dans un monument colonial. Les apports des études postcoloniales permettent d’analyser les liens structurels entre l’imaginaire colonial véhiculé par le Palais et les représentations contemporaines de l’immigration post-coloniale, de l’altérité, des relations avec le reste du monde et de la biodiversité, autant de thématiques qui résonnent déjà dans ce Palais en construction.
Des collections historiques à reconstituer
Le transfert des collections de l’ancien musée des Arts d’Afrique et d’Océanie au musée du quai Branly - Jacques Chirac, en 2003, a entraîné le départ des collections historiques du Palais. Le portfolio du numéro présente l’autre chantier du Palais, celui du large inventaire à réaliser des objets, plans, esquisses, mobilier et œuvres qui attestent de sa construction et du dialogue stylistique recherché entre l’architecture et les éléments de décoration. Les équipes du Palais tentent de reconstituer ce patrimoine colonial dispersé, occulté, ou tout simplement perdu, pour relancer un programme de recherche ambitieux.
Habiter autrement le Palais
Le Palais se révèle être une formidable ressource pédagogique et culturelle pour aborder l’histoire de la domination coloniale et de ses représentations dans la société. Ce numéro présente certaines actions d’enseignement, de médiation et autres ateliers créatifs. Mais décoloniser le Palais ne se limite pas à la relecture critique du discours colonial qu’il incarne. Depuis des années, des activités dialoguent avec le bâtiment et invitent les visiteurs à l’habiter autrement. À la veille de l’ouverture de l’exposition Chaque vie est une histoire qui investit tous les espaces du palais pour déployer les créations de 13 artistes contemporains, la réflexion se poursuit sur les démarches à développer pour questionner cet héritage, en neutraliser le pouvoir captivant et le transformer en « Palais-mondes » à l’aube de son centenaire.
Retour sur le parcours permanent
Un an après l’inauguration du nouveau parcours permanent du Musée, Patrick Boucheron, l’historien qui a présidé son comité scientifique, et Maciej Fiszer, son scénographe, reviennent sur l’élaboration de ce projet ambitieux. Ils soulignent combien la qualité d’une scénographie lumineuse et la pluralité des objets exposés font écho à la solennité du Palais et participent à la reconnaissance de l’histoire de l’immigration, élargie à la traite transatlantique et aux migrations coloniales dont les effets sont encore puissants dans nos sociétés contemporaines.