Champs libres : films

Animals

Film de Nabil Ben Yadir (Belgique, 2022)

journaliste, critique de cinéma

Après Pour la France de Rachid Hami, voici un second film, Animals, de Nabil Ben Yadir qui s’inspire également de faits réels. Seule différence, les lieux : l’Hexagone dans Pour la France, la Belgique pour Animals.

 

Le premier point de départ du film est une rencontre entre Nabil Ben Yadir, célébré pour le succès de son film Les Barons (2009), et un ami dans un café au cours de laquelle celui-ci s’étonne que le réalisateur veuille faire un film sur le meurtre d’un homosexuel. Lorsqu’il verra le film plus tard, l’ami en question sera choqué par la violence des images et du propos. D’autant que Nabil a suivi dans son intégralité le procès du meurtre d’Ihsane Jarfi, assassiné par un quatuor de violeurs homophobes. Nabil Ben Yadir, alimenté par les minutes du procès, dispose de tous les éléments pour écrire un scénario structuré en trois parties, riche du récit cinématographique qui s’offre à lui.

La première partie nous convie dans une famille marocaine de Belgique où va se célébrer l’anniversaire de la maman de Brahim, l’un des trois garçons de la fratrie. La caméra est braquée sur lui, accroché au téléphone, tentant de joindre celui qui est son compagnon et non son collègue de travail. En effet, Brahim, homosexuel, a toujours dissimulé son orientation amoureuse à sa famille. Seul son frère Mehdi est au courant et a un échange assez dur avec lui sur le perron de la maison. Brahim enregistre sur son portable le poème que son père a dédié à sa mère à l’occasion de son anniversaire, puis il quitte la maison familiale pour se rendre dans un bar gay où il a l’habitude de rencontrer son compagnon. À la sortie, il s’interpose entre une bande de quatre hommes et une prostituée. Ces derniers, plutôt bien avinés, le maîtrisent et l’emmènent dans leur véhicule. On plonge alors dans la deuxième partie du récit, le cœur du film, au cours de laquelle va se nouer le destin tragique de Brahim, d’abord molesté avant d’être frappé, insulté, et surtout agressé et renvoyé à son homosexualité découverte notamment sur son portable.

Pour cette seconde partie, Nabil Ben Yadir a recours au format des portables, ce qui accentue la sensation d’étouffement de Brahim qui subit un déchaînement de violence inouïe. Les quatre futurs assassins font montre d’un vocabulaire indigent, réduit principalement aux insultes. Il y a là Geoffroy (Vincent Overath), Christophe (Lionel Maisin), Milos (Serkan Sancak), lui-même « bougnoule », et surtout le jeune Loïc (Gianni Guettaf), 22 ans, à la gueule d’ange, pour la première fois entraîné dans une baston à la fin tragique. Une séquence verra Loïc pousser un cri animal et enjamber ensuite le corps inanimé de Brahim.

La troisième partie du film met en exergue le personnage de Loïc, dont les vêtements recouverts de sang l’obligent à se diriger vers la machine à laver le linge où il tente en vain d’effacer les traces de son crime. S’il a un beau-père avec lequel il ne s’entend guère, il participe au mariage de son père biologique, lequel célèbre un mariage. homosexuel, paradoxe ! Et le dénouement sera centré sur Loïc devant un lavabo où ses mains sont prises d’un tremblement permanent.

La disparition d’Ihsane Jarfi a eu lieu le 22 avril 2012 à Liège. Les quatre meurtriers ont été arrêtés quelques jours plus tard alors que le corps du jeune homme n’a été retrouvé que le 1er mai 2012 près de Tinlot. Le procès eut lieu devant la cour d’assises. Les quatre prévenus, inculpés pour assassinat homophobe, devaient également répondre d’autres chefs d’accusation, dont la torture, le traitement inhumain et dégradant, ainsi que de faits d’humiliation, d’avilissement grave et de séquestration. Verdict : trois d’entre eux sont condamnés à la réclusion à perpétuité pour assassinat homophobe, le dernier à trente ans pour meurtre homophobe. La circonstance aggravante d’homophobie est retenue pour tous les auteurs.

Revenons au film proprement dit et à sa mise en scène. Il y a, en premier lieu, de nombreux plans- séquences, plus ou moins longs, de quelques dizaines de secondes à plusieurs minutes, sans interruption, donc sans coupe entre les plans. Et puis il y a la caméra portée à l’épaule, parfois avec un Steadicam, système de stabilisation fixé sur un harnais. Dans Animals, on peut féliciter Nabil Ben Yadir pour avoir su adapter sa caméra à son propos et nous proposer à nous, spectateurs, un film d’une grande force à la fois émotionnelle et cinématographique.