Un petit frère
Film de Léonor Serraille (France, 2022)
Léonor Serraille, aujourd’hui âgée de 37 ans, s’est révélée dès son premier long-métrage en 2017, Jeune Femme, avec lequel elle a conquis la Caméra d’or au festival de Cannes. Cinq ans après, toujours à Cannes, elle est en compétition avec Un petit frère, toujours une histoire de femme, mais qui cette fois embrasse les thèmes de l’immigration, de l’intégration et de l’identité.
Avec Un petit frère, elle se plonge dans le parcours d’une immigrée ivoirienne, Rose (remarquable Annabelle Lengronne), mère célibataire nantie de deux garçons en bas âge, Jean, 10 ans (Sidy Fofana), et Ernest, 5 ans (Milan Doucanssi), qui, à la fin des années 1980, rejoignent la France. Recueillie par des parents éloignés, Rose s’emploie comme femme de ménage dans des hôtels et essaie tant bien que mal de doter ses garçons d’une bonne scolarité et d’une bonne éducation. Sa vie se déroule tout à la fois sur le plan professionnel, sur celui de mère de famille, mais également sur le plan sentimental et sexuel. Elle aura une brève liaison avec un Tunisien avant d’entreprendre une aventure avec un certain Thierry, un barbu engagé par ailleurs, dont les rapports avec Jean, l’aîné des deux garçons, s’avéreront si compliqués que leur couple explosera.
Le film est construit sur le plan cinématographique selon une démarche linéaire, mais avec trois focus sur Rose, Jean et Ernest qui donnent toute leur épaisseur aux personnages et au récit. Par la suite, Rose sera courtisée jusqu’à l’excès par Jules César (Jean-Christophe Folly), avec lequel elle formera un couple jusqu’à leur rupture au bout de quelques années, notamment lorsqu’à 19 ans, Jean (Stéphane Bak) regagnera sa Côte d’Ivoire natale après avoir longtemps dérivé dans sa cité de banlieue. Son retour au pays natal s’explique en partie par l’échec de la relation amoureuse qu’il a nouée avec Camille (Angelina Woreth), tant son instabilité psychologique a pesé négativement et de manière toxique sur ses sentiments.
Le projet d’Un petit frère est né dans l’esprit de Léonor Serraille à partir d’éléments biographiques, et notamment de la relation de la réalisatrice avec son mari : « Je crois que le film est né d’un manque, révèle-t-elle, et d’un étonnement de ne pas voir cette histoire-là portée au cinéma alors qu’elle faisait partie de mon pays, de ma vie. Ce projet de “roman de famille” est également lié à un besoin que j’avais de raconter à mes enfants une partie de leur histoire, ou du moins une interprétation de cette histoire. Après Jeune Femme, j’avais envie de me tourner vers un projet très différent et romanesque. J’en ai parlé au père de mes enfants car le projet prenait soudain forme dans ma tête, je cherchais, j’imagine, une forme de validation de sa part mais il m’a répondu : “Ce qui compte, c’est que tu racontes cette histoire à ta façon.” J’ai mis quelques mois à intégrer que ce serait très librement inspiré de “son” histoire et que ce serait “mon” film. »
Et de fait, le film répond fort bien à une série de questionnements : que veut dire être une famille ? Que veut dire être une mère ? Que veut dire être un fils ? Que veut dire venir d’ailleurs et être Français ? Autant d’interrogations auxquelles répond le film avec un mélange de liberté et de responsabilité. La réussite du film tient beaucoup à l’écriture de Léonor Serraille qui, sans aucune origine africaine, a su s’immerger dans une réalité, celle de l’immigration africaine justement, et donner véracité et crédibilité à la fois aux personnages et aux situations qu’elle a mis en scène avec brio et talent.
La dernière partie du film fait la part belle à Ahmed Sylla, connu comme humoriste, et qui dans le rôle d’Ernest adulte est totalement à contre-emploi, sur un registre relevant plutôt du drame. Pas de clichés dans la scène où Ernest est contrôlé par la police alors qu’il n’a pas ses papiers sur lui, pas d’invectives, pas d’insultes, un calme qui est une ode à l’intelligence du personnage, par ailleurs prof de philosophie dans une classe de terminale. Un petit frère s’affirme comme une œuvre rare dans la panoplie des films ayant pour thèmes l’immigration et l’intégration, rejoignant en cela Les Miens de Roschdy Zem où le cœur de l’intrigue et du récit envoie au premier plan les relations filiales et familiales.