Les mots pour le dire…
Une fois de plus, la France s’est offert le luxe d’une crise de nerfs autour d’une énième loi sur l’immigration. Une fois de plus ou une fois de trop ? Car davantage encore qu’à un nouveau durcissement législatif en matière d’entrées et de sorties des étrangers auquel le pays est habitué depuis 1980 et les quelque 30 lois votées, nous assistons peut-être à un changement de nature, à l’émergence de nouveaux paradigmes, à la fabrique d’un bouc émissaire, à un jeu dangereux avec des valeurs républicaines et plus encore françaises. Ici, le microcosme politico-médiatique s’invective quand les Ukrainiens résistent, peut-être, au nom de la démocratie, quand, au Proche-Orient, la haine est déversée pour plusieurs décennies, et qu’à Dubaï, la COP 28 sur le climat ne convainc pas tous les observateurs. L’avenir est indécis, mais de cette incertitude naît une certitude : de nouvelles migrations internationales sont à prévoir. Qu’importe ! L’irréductible Gaulois, réfractaire et querelleur, se divise et se chamaille, certains craignant pour leur intégrité parce que quelques métèques s’aventurent sur ses côtes et ses frontières. Le bateau coule ? Enfermons-nous dans la cabine ! Hier le pays de Voltaire, de Diderot et d’Hugo pouvait inspirer le monde, aujourd’hui les débats autour de la loi sur l’immigration en font la risée de la presse internationale. Ainsi, dans l’émission Les informés (Franceinfo, 16 décembre 2023), le journaliste italien Alberto Toscano notait que « le gouvernement ne s’y est peut-être pas très bien pris, […] quand l’arithmétique dit qu’un gouvernement n’a pas de majorité absolue, il faut bien trouver une solution et la solution ne peut pas être seulement le 49.3 à répétition et une loi qui ne peut être débattue ». Vaiju Naravane, journaliste indienne, insiste : l’usage répété de l’article 49.3 est « une aberration dans une démocratie ». L’espagnol Juan José Dorado déclare : « J’ai vraiment mal quand j’entends des ministres nous dire que le Parlement n’a pas eu la possibilité de débattre sur l’immigration, quand effectivement ils l’ont empêché à 21 reprises [l’usage du 49.3]. Mais ce qui me fait le plus mal par rapport à la France, c’est justement qu’on fait de l’immigration un sujet majeur alors que, quand vous regardez les chiffres de l’OCDE, la part des immigrés dans la population française est sous la moyenne des pays OCDE […]. On fait de l’immigration le mal absolu en France, ce qui n’est pas du tout le cas et c’est pour ça que ce qui a été proposé par la droite au Sénat me paraît dangereux. » Enfin, Brigitte Adès, chef du bureau britannique de la revue Politique internationale, se dit « très surprise car il n’y a pas tant d’étrangers en France que ça, 7,8 %, aujourd’hui, en 1946 il y en avait 6,5 % [en fait 4,4 % en 1946, mais effectivement 6,6 % en 1931 selon l’Insee]. Il ne faut pas exagérer. Je crois que ce n’est pas ça le problème. Les Français ne sont pas obsédés par ce problème, ils ont des problèmes de fin de mois et ça c’est vraiment fondamental. Il y a une polarisation politique et une volonté d’instrumentalisation de cette loi qui sera complètement inefficace et qui va décevoir les Français. Elle ne sert à rien parce que le problème n’est pas de pouvoir renvoyer les gens qui sont illégaux chez eux [mais] les pays qui ne veulent pas les accepter ».
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