Arthur Rambo
Film de Laurent Cantet (France, 2021)
Rappelons qu'Arthur Rambo s’inspire librement de la véritable histoire de Mehdi Meklat, jeune journaliste au Bondy Blog et chroniqueur à France Inter. Sa réussite fulgurante va se fracasser lors de la révélation de tweets scandaleusement antisémites, homophobes, misogynes…
Dans le film Arthur Rambo de Laurent Cantet, un jeune écrivain prometteur sort son deuxième livre lié à son histoire et à sa famille, et… c’est le buzz !
Sur les réseaux sociaux en particulier, les abonnés des communautés issues de l’immigration sont dithyrambiques, les félicitations et les compliments tombent comme à Gravelotte, les ados en font même un rap… Tous les médias, une productrice de films, une station radio le sollicitent, le monde de l’édition et le Tout-Paris se pressent à une fête endiablée organisée par l’éditeur. Mais – eh oui bien sûr vient le «mais » – trop de médiatisation appelle l’autre médiatisation : celle de la recherche, du « fouinage » sur le personnage adulé, et selon la formule « quand on cherche, on trouve ». Le passé de Karim le blogueur va sauter aux yeux de tous les lecteurs de tweets – et ils sont nombreux – et faire découvrir sa part d’ombre : des messages antisémites, homophobes, grossophobes, faisant même l’apologie du terrorisme, écrits quelques années auparavant… et qui défilent régulièrement à l’écran, en surimpression dans l’image, pour mieux appuyer là où ça fait mal.
C’est le choc, la rupture, la fin du rêve, la chute… et Karim, sidéré, ne comprend pas ! Ses amis se détournent alors qu’ils l’ont souvent aidé à écrire ces horreurs, en tout cas ne l’ont jamais dissuadé de les publier sur la toile et jamais encouragé à les effacer. Tout s’écroule autour de lui, même son petit frère qui semble le soutenir le fait pour de mauvaises raisons… Karim ne comprend toujours pas… et le spectateur non plus ! On ne saura jamais vraiment ce qui l’a poussé à écrire ces tweets à part son explication oiseuse de personnage punk, Arthur Rambo, créé à l’âge de 16 ans, qui ne veut donner aucune limite à ses élucubrations… mais qui n’est en aucun cas, lui, Karim, assène-t-il.
Le film revêt la forme d’une sorte de road movie… ou de chemin de croix (remarque le réalisateur Laurent Cantet) où Karim va se déplacer de Paris à la banlieue, d’un lieu à l’autre, d’un milieu social à un autre. Puis, dans la deuxième partie, on le retrouve souvent chez lui, seul dans son appartement, où il peut apparemment réfléchir à la brutalité de sa descente aux enfers.
La performance de l’acteur Rabah Naït Oufella, qui tient le film de bout en bout, est grandement à saluer. On se souvient de l’avoir quitté dans la classe d’Entre les murs où il affichait déjà un certain caractère d’ado. Là, son jeu tout en retenue et parfois même un peu figé, fait bien ressentir la sidération de Karim devant le changement incompréhensible de jeune homme adulé en pervers démoniaque.
De même, les comédiens qui entourent Karim dans des scènes souvent courtes marquent néanmoins fortement la mémoire : Rachid (Sofian Khammes), l’ami fidèle, qui va pourtant se désolidariser par crainte de l’amalgame qui ne manquera pas de se faire… La confrontation avec sa mère (Malika Zerrouki) dépassée par cette situation inconnue pour elle qui a toujours vécu modestement, invisible au possible… Elle était pourtant fière de son fils et voudrait qu’il s’explique mais il ne peut que répondre : « Tu ne peux pas comprendre. » Et aussi la sublime Anne Alvaro à la voix si envoûtante même si elle parle peu, dont les regards bienveillants et l’attitude maternelle vont amener Karim à l’émotion extrême et à la reconnaissance de l’ampleur de ses erreurs. Elle ne demande pas d’explication, elle ne juge pas. C’est la figure du mentor.
Dans le rôle de Farid, le petit frère, Bilel Chegrani, aborde avec beaucoup de naturel et de sincérité la scène difficile où il affronte Karim, déchiré entre sa colère et l’admiration aveugle qu’il lui porte. Belle prestation de ce jeune comédien.
La conclusion est apportée par Laurent Cantet lui-même : « Si des personnages m’intéressent, c’est parce que j’ai le sentiment d’avoir besoin d’une vie pour les saisir et les suivre dans toutes leurs contradictions. C’est cette complexité-là que j’essaie de retrouver dans mes films. Éviter de tirer un jugement ou une certitude. Dans le cas de Karim, même à la fin, tout reste sinon opaque, du moins ouvert. On le regarde se débattre dans une situation inextricable, un peu comme un entomologiste observe des comportements. Le film accepte de ne pas tout expliquer. »