Champs libres : livres

Là où je me terre

Caroline Dawson, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2021, 208 p., 17 €

sociologue-démographe

Le roman de Caroline Dawson, Là où je me terre, offre d’entrer dans l’univers d’une enfant forcée de suivre ses parents et d’être témoin de leur vie dévaluée. Comme beaucoup d’enfants ayant dû quitter leur pays, l’auteure a subi le traumatisme du départ : « Je me suis arrachée à mon passé en même temps qu’on me déracinait. »

Caroline Dawson, sociologue et professeure, est arrivée à Montréal en 1986 avec ses parents fuyant le Chili pour échapper à la dictature meurtrière. Au moment de demander l’asile politique à la douane canadienne, ils furent confrontés à un douanier sceptique : « Nous nous sommes retrouvés devant un homme antipathique en uniforme qui est resté de glace devant nous. » Précisons qu’au Canada, les années 1980 sont caractérisées par de nouvelles politiques plus restrictives mises en oeuvre par le gouvernement de Brian Mulroney et bien accueillies par le Québec de Robert Bourassa. « Nous venions à peine de quitter la dictature qu’on nous enfermait en nous interdisant de sortir en dehors du périmètre de l’hôtel. »

Elle souffrit beaucoup, petite fille, de voir ses parents travailler dans des conditions pénibles et humiliantes. Sa mère, qui était éducatrice en service de garde au Chili, se retrouve à faire des ménages. Selon Dawson, le féminisme aura libéré « les femmes blanches d’une partie des travaux domestiques pour les faire exécuter par d’autres femmes, immigrantes comme ma mère ».

C’est dans ce contexte qu’elle renie en quelque sorte sa mère : « Stupidement, au début de l’adolescence, je me suis construite contre elle, contre ce qui la constituait, pensant que c’était bas, ordinaire ; méprisant sa culture, dédaignant ses lectures. Je ne me rendais pas compte que c’était justement parce qu’elle m’avait tant élevée que je pouvais maintenant la regarder de haut. »

Pour réussir sa propre intégration à l’école, elle comprit rapidement qu’elle devait se fondre dans la masse : « Je ne pourrais jamais être caméléon pour leur ressembler physiquement ; c’est ma personnalité qui a été étouffée. J’ai décidé à huit ans d’éviter de sortir du lot. » Son livre nous fait pénétrer dans l’univers de l’école où elle subissait le racisme au quotidien. Au cégep (collège d’enseignement général et professionnel), elle a pris conscience des différences de classes : « Il était pourtant clair que je n’étais pas des leurs. J’avais beau fréquenter l’un d’eux, circuler dans leur cercle des heures durant, parler la même langue, tout me ramenait constamment à ces espaces qui nous séparaient » Mais, malgré tout, la résilience : « Élève exemplaire, hautes aspirations, tenue irréprochable, vocabulaire riche, sens du collectif. À force d’avoir l’appartenance comme seule obsession, j’étais devenue une immigrante exemplaire. » Comme plusieurs groupes immigrants, les parents voulaient un meilleur avenir pour leurs enfants, « … et ça passait nécessairement par un détachement de nos racines… ». À la dernière phrase du livre, elle se demande à quel moment elle cessa de voir des montagnes dans sa tête : « Je me rends compte que c’est l’amour de ma mère qui a déplacé les montagnes, et pas n’importe lesquelles, toute la cordillère. »