Hôpital Avicenne – Cimetière franco-musulman, Bobigny

On n’associe pas de manière immédiate le département de la Seine-Saint-Denis avec l’idée de patrimoine architectural. Or, celui-ci est d’une très grande richesse et offre en particulier des perspectives nouvelles sur le patrimoine de l’immigration. L’hôpital et le cimetière sont ainsi des témoins de notre histoire récente et des vagues d’immigration qui, tout au long du XXème siècle, ont marqué le paysage et les pratiques sociales.

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Façade de l'hôpital Avicenne, Bobigny © JB Debost/CG93
Façade de l'hôpital Avicenne, Bobigny © JB Debost/CG93
À travers la visite de ces lieux, le visiteur découvre comment se sont établies les relations entre la métropole et ses anciennes colonies. En, effet, l’hôpital est un lieu de mémoire d’autant plus intéressant qu’il illustre l’ambivalence de la France coloniale à l’égard des populations issues des colonies. D’une part, sa fonction était sociale. Il témoigne en effet de la mise en place progressive de structures d’accueil et de service pour ces populations qui ne parlent pas le français et qui ont leur propre coutumes et traditions. D’autre part, l’hôpital permettait aussi de surveiller et d’encadrer les populations immigrées.
Dans le cimetière, la présence des tombes des soldats musulmans de la 2ème DB (division Leclerc) qui a libéré Paris en août 1944 témoigne de l’engagement héroïque des troupes des “indigènes de la République” pour libérer Paris. Au-delà de l’aspect purement artistique et architectural, c’est ainsi un lieu qui donne matière à réfléchir.
Lieux partagés entre deux mondes, entre la France et les pays de l’autre côté de la Méditerranée, ces lieux représentent un ailleurs tout étant la trace du lien qui s’est tissé entre des populations immigrées et leur terre d’accueil. A la fois symbole de l’immigration mais aussi de l’intégration et de l’enracinement des populations immigrées aujourd’hui, ces infrastructures nous renseignent sur l’histoire des migrations en France en provenance d’Afrique nord mais aussi sur leurs conditions de vie.

Rappel historique : l'hôpital franco-musulman

L'hôpital franco-musulman, inauguré à Bobigny en mars 1935, s’inscrit dans un projet général d’encadrement et de surveillance de la population “nord-africaine”, qui commence à s’installer à Paris dans l’entre-deux-guerres. Cette population pauvre, souvent sans ressources, logée dans les taudis, est la première victime de la tuberculose qui connaît alors une recrudescence et inquiète l’opinion. Les autorités sanitaires craignent de voir ces malades “accaparer” les lits des hôpitaux parisiens et les pouvoirs publics décident finalement de construire un hôpital à leur usage exclusif, à Bobigny, Paris ayant refusé d’accueillir ce projet.
La création de l’hôpital relève à la fois de la mise à l’écart et d’une volonté de contrôle, qui s’est manifestée dès 1925 avec la création du “Service de surveillance, de protection et d’assistance des indigènes nord-africains”, sous l’impulsion de Pierre Godin, conseiller municipal de Paris. Ce service compte notamment une brigade de police spécifique, mais aussi trois dispensaires et des foyers, autant de moyens de surveillance policiers ou sociaux.

Les concepteurs du bâtiment, Maurice Mantout (également l’un des architectes de la Mosquée de Paris, inaugurée en 1926) et Léon Azéma (l’un des architectes du Palais du Trocadéro) empruntent certaines formes à l’architecture hospitalière moderne. La façade de l'entrée principale et la galerie sous colonnade se distinguent néanmoins par leur style arabo-andalou, et sont inscrites à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Le fonctionnement de l’hôpital s’inscrit dans une gestion “coloniale” des patients. Le personnel est formé à la langue arabe ou kabyle. Le règlement des hôpitaux parisiens est adapté, pour tenir compte “des mœurs” d’une population désignée comme spécifique. Les repas sont servis sans porc, ni vin. Mais les “Algériens” de Paris ne se montrent guère sensible à cette propagande. Ils protestent contre une hospitalisation qu’ils considèrent comme forcée, à Bobigny. Certains ne veulent pas suivre le régime spécial mis en place. Sans compter le sentiment d’être tenus à l’écart du reste de la population, en quarantaine. En 1937, près de 600 Algériens refusent d’être hospitalisés à Bobigny.
Pendant la guerre et l’occupation, l’hôpital est occupé par l’armée allemande.
Après 1945, il n’est plus réservé aux seuls immigrés Nords-Africains et s’ouvre dans les années 50 aux malades des communes voisines et notamment de Bobigny. Cette évolution est liée à celle plus générale de la ville qui connaît une explosion démographique particulièrement marquée (celle-ci s’inscrit de manière plus générale dans la forte croissance démographique que la France connaît dans les années 50) en accueillant de nouveaux habitants et en ayant un taux de naissance élevé.
L’hôpital est rattaché à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en 1962. Il est aussi ouvert aux femmes. En 1968, il devient Centre hospitalier universitaire. En 1969 et en 1975, de nouveaux bâtiments voués à différents services médicaux sont construits. En 1978, l'hôpital franco-musulman devient l'hôpital Avicenne, nom d’une grande personnalité du monde musulman, à la fois médecin, philosophe, poète et musicien. En 2004, un nouveau bâtiment d’hospitalisation est construit à l’emplacement d’une nécropole gauloise.

Le cimetière franco-musulman

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Le cimetière franco-musulman de Bobigny © JB Debost/CG93
Le cimetière franco-musulman de Bobigny © JB Debost/CG93
Le cimetière franco-musulman de Bobigny, inauguré en 1937, a été conçu pour accueillir les personnes qui décèdent dans l’hôpital franco-musulman. Dans la mesure où il est réservé à l’inhumation d’une population de cette obédience religieuse (dont les obligations étaient d’orienter les tombes vers la Mecque, d’enterrer les corps sans cercueil mais dans un linceul), il apparaît, à cette époque, en contradiction avec le principe de laïcité des cimetières français, la loi de 1881 interdisant les cimetières confessionnels.
Jusque là, les familles renvoyaient le corps dans leur pays. La situation évolue avec la Première Guerre mondiale : d’une part, beaucoup de Musulmans venaient mourir en métropole ; d’autre part, une immigration, kabyle notamment, commença à affluer, surtout en région parisienne. Dans le contexte de célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, les signes s’attachements entre la France et le Maghreb furent nombreux dans les années 20 et 30 : tour à tour furent inaugurés la Mosquée de Paris, l’Hôpital et le cimetière franco-musulman.

Le cimetière appartient ainsi a un projet conçu dans l’entre-deux-guerres où dominait l’idée de remercier les soldats musulmans qui étaient venus se battre pour la France et celle d’asseoir la puissance coloniale de la France en la présentant comme tournée vers ses colonies et le respect de leurs traditions. Pour contourner la loi de 1881, le cimetière a été ouvert avec un régime dérogatoire : il hérita d’un statut privé et fut géré par l’Hôpital franco-musulman étant donné que la loi de 1881 interdisait les cimetières confessionnels mais autorisait à titre exceptionnel que des hospices ou hôpitaux aient un cimetière annexe. Dans le carré militaire du cimetière sont inhumés les soldats musulmans de la 2ème DB (division Leclerc) qui a libéré Paris en août 1944.
En 1996, la gestion en est confiée au Syndicat intercommunal du cimetière des villes d’Aubervilliers, La Courneuve, Drancy et Bobigny et il devient le “carré musulman” du cimetière intercommunal.
Aujourd’hui, il accueille des musulmans morts dans l’une des quatre communes, ceux qui y ont vécu et ceux enfin, dont les ascendants directs sont déjà enterrés dans ce cimetière. Le porche d'entrée, avec ses deux pavillons (bureau et pavillon de l'imam), ainsi que la mosquée, ont fait l’objet d’une inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Aujourd’hui, le cimetière ne peut plus accueillir de nouvelles sépultures. Or, petit à petit, les migrants et leurs descendants sont plus nombreux à accepter d’être enterrés dans le pays d’accueil, et non dans leur pays d’origine. Se pose alors la question de la conservation de ce patrimoine de l’immigration.

À écouter, en partenariat avec l'Epra

Fait unique dans l'histoire de France, en 1937, était inauguré un cimetière confessionnel musulman. À Bobigny, dans la banlieue nord de Paris des stèles estampillées du croissant et de l'étoile sortent de terre. Dans le vent et le froid d'un jour d'hiver, Marie-Ange d'Adler, auteur de Le cimetière musulman de Bobigny aux éditions Autrement, nous convie à une promenade dans les traversées de celui-ci.
Jean-Louis Rioual - Radio Oxygène
En partenariat avec l'Epra

jep_2009_bobigny.mp3
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Programmation

  • Organisation : Conseil général de la Seine-Saint-Denis
  • Date-Horaires : samedi 19 septembre et 20 septembre, à 9 h 30 et à 14 h. Le transfert entre ces deux lieux se fera par l’intermédiaire d’une navette gratuite.
  • Contact et réservation obligatoire au 01 43 93 75 32. Lieu de rendez-vous précisé lors de la réservation. Transfert entre les deux lieux par navette gratuite.
  • Nature de la manifestation : Visites architecturales et mémorielles guidées groupées entre le cimetière franco-musulman et l’Hôpital Avicienne