Focus

14 questions aux commissaires

Pourquoi cette exposition aujourd’hui au Musée national de l’histoire de l’immigration ?

Émilie Gandon : Les migrations asiatiques ont pendant longtemps été peu traitées et racontées. Pourtant, cette histoire entre la France et l’Asie de l’Est et du Sud-Est est à la fois ancienne et éminemment contemporaine. Aujourd’hui, près de 6 % de la population immigrée en France vient de Chine, du Vietnam, du Cambodge, du Japon, de Corée, du Laos, de Thaïlande ou des Philippines. L’exposition Immigrations est & sud-est asiatiques depuis 1860 est une première tentative de réparer cette omission collective en mettant en lumière une part manquante de notre histoire commune.

Pourquoi la démarrer en 1860 et se concentrer sur la Chine, Vietnam, Cambodge, Japon, Corée, Laos, Thaïlande et Philippines ?

Simeng Wang : Parce que la fin de la seconde guerre de l’Opium marque un tournant dans l’histoire des relations entre la France et l’Asie : citons entre autres l’ouverture de la Chine et du Japon à l’Occident, et les débuts de la colonisation française en Cochinchine. Nous avons choisi l’Asie de l’Est et du Sud-Est comme périmètre géographique de l’exposition pour trois principales raisons : d’abord, l’existence ancienne des flux migratoires interrégionaux entre ces pays asiatiques, bien avant les migrations depuis l’Asie vers la France ; ensuite, l’influence de la Chine ancienne sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est sur un temps long, au regard de l’histoire des civilisations ; et enfin, le processus de racialisation relativement similaire, vécu par les personnes en provenance de cette partie de l’Asie dans la société française.

Parlez-nous de la collecte d’objets. Comment a-t-elle nourri l’exposition avec ses parcours de vie tantôt dramatiques tantôt remarquables et heureux ?

Émilie Gandon : Pour incarner cette histoire et la ponctuer de parcours de vie et de trajectoires migratoires singulières, un appel à participation à l’exposition a été lancé auprès de la société civile, particuliers comme associations. Parmi les nombreuses réponses reçues, nous avons sélectionné pour l’exposition une vingtaine d’objets, photographies de famille et documents qui contribuent à mettre en lumière des histoires individuelles et familiales et à restituer tout un pan de ces parcours de vies, en liant petites et grande Histoire.

Entre invisibilité des communautés asiatiques et stéréotypes persistants, comment avez-vous appréhendé le parcours de l’exposition ?

Simeng Wang : Le parcours s’ouvre avec un sas d’introduction qui pose les partis pris et les enjeux de l’exposition. Il est suivi par quatre sections chronologiques qui restituent les moments clefs et les événements marquants d’un siècle et demi de migrations asiatiques en France : Circulations et diplomatie à l’heure de l’impérialisme (1860-1914) ; D’une guerre à l’autre (1914-1945) ; Décolonisation et conflits régionaux (1945-1990) ; Migrations diversifiées et devenir des descendants (de 1990 à nos jours). Une cinquième section, celle clôturant l’exposition, est thématique et transversale. Elle traite des questions de représentations et stéréotypes attachés aux personnes d’origine asiatique, de traitements différenciés qu’elles subissent, et de luttes qu’elles mènent pour combattre le racisme et les discriminations, tout comme pour promouvoir une plus juste représentation des Asiatiques en France, à travers le temps, c’est-à-dire de 1860 à nos jours. Bien que leurs histoires nationales et trajectoires migratoires soient très différentes, les regards portés sur les populations de l’Asie de l’Est et du Sud-Est en France sont souvent monolithiques et empreints de stéréotypes relativement homogènes. Dans cette section, il est question du fantasme de l’Extrême-Orient, de la représentation du « péril jaune », de l’image de « travailleurs discrets » et de « minorité modèle » ancrée dans l’histoire coloniale et postcoloniale, de la racialisation de la maladie au temps de la pandémie de Covid-19, etc.