3Retour sur : la collecte sur les immigrations asiatiques en France
La genèse de l’appel à participation à l’exposition
Que ce soit dans l’espace dédié de la « Galerie des dons », ouvert au public entre 2008 et 2020, ou dans sa nouvelle exposition permanente inaugurée en juin 2023, le Musée national de l’histoire de l’immigration s’attache à présenter des ensembles à la fois matériels et immatériels, associant à des objets témoins, le plus souvent des objets personnels issus de la vie quotidienne, des témoignages qui les éclairent. Ces « parcours de vie » narrent des récits personnels et familiaux, véritables leviers d’incarnation de l’histoire, et apportent une dimension sensible à la visite.
Dans le cadre de la préparation de l’exposition Immigrations est et sud-est asiatiques depuis 1860, la nécessité d’intégrer des objets et des récits témoignant d’histoires personnelles et familiales particulières s’est naturellement et très tôt imposée. Pour pallier le faible nombre de parcours de vie de personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est conservés dans la collection du Musée et dans un souci d’associer largement, et bien en amont, la société civile, les particuliers comme les associations à la participation de l’exposition, l’idée a germé de lancer un appel à participation à l’exposition, dans lequel chacun serait invité à proposer des objets et des récits.
Méthodologie et processus de la collecte
Le commissariat de l’exposition, assisté d’une stagiaire, puis d’une volontaire en service civique, a rédigé un appel à participation présentant le projet d’exposition, la démarche et les objectifs de la collecte, ainsi que les modalités de participation. Cet appel a fait l’objet d’une diffusion large auprès des associations représentatives des communautés est et sud-est asiatiques, recensées pour l’occasion ; auprès des réseaux de chercheurs via l’intermédiaire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut Convergences Migrations (ICM), et tout particulièrement du réseau de recherche Migrations de l’Asie de l’Est et du Sud-Est en France (MAF) ; et il a également été diffusé au sein du réseau des partenaires du Musée. Avec la collaboration du CNRS et du réseau de recherche MAF, une boîte mail a été mise à disposition pour la collecte.
Les participants avaient la possibilité d’y soumettre les biens qu’ils proposaient pour l’exposition en fournissant une brève description expliquant l’histoire derrière le bien proposé et des informations détaillées, telles que l’origine de l’objet, son ancienneté, ses dimensions.
Entre le printemps 2022 et février 2023, près d’une quarantaine de propositions ont été reçues. Comprenant des costumes traditionnels asiatiques, des cassettes audios achetées dans le 13e arrondissement de Paris, des récits autobiographiques ou encore des documents administratifs, ces propositions mettaient chacune en lumière, et de multiples façons, des histoires personnelles et singulières susceptibles d’incarner une part de ces histoires migratoires partagées.
Au-delà des propositions spontanées de particuliers, l’appel à participation a servi de véritable levier pour amorcer des échanges avec un certain nombre d’associations, qui se sont révélés nourris et féconds. Ce dialogue et ces rencontres sur le terrain ont été l’occasion de découvrir des objets et des documents uniques à présenter dans le parcours de l’exposition. La collaboration avec des associations telles que le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), l’Amicale des Teochew en France ou encore l’Union générale des Vietnamiens de France ont permis d’enrichir considérablement le contenu et de l’exposition.
Au terme de l’appel à participation, l’équipe constituée autour du projet de collecte a examiné attentivement chaque proposition reçue. Des rencontres avec les participants ont été organisées pour en savoir plus sur l’histoire de leur(s) objet(s) et les raisons qui les conduisaient à participer au projet.
Parce qu’une exposition conduit inévitablement à faire des choix, plus d’une dizaine de biens ont finalement été sélectionnés pour être présentés lors de l’exposition. La variété des parcours de vie, la diversité des provenances nationales, tout comme l’adéquation entre objet et récit de vie, ou encore l’état matériel de l’objet proposé ont fait partie des multiples critères qui ont conduit à cette sélection.
Quelques exemples de propositions reçues et présentées dans l’exposition
Dans la religion bouddhiste pratiquée en Chine, la déesse Guanyin est une figure de compassion et de protection. Cette statuette, accompagnée de prières écrites à la main, a appartenu à la mère de Sophie Gleizes. Arrivée seule à 20 ans en 1987 pour étudier à la Sorbonne, Jenny Fu Ying Huang-Gleizes a choisi de poursuivre une pratique religieuse individuelle et personnelle. Achetée à la demande de Sophie, dans un temple de Canton en Chine lors d’un voyage familial dans les années 2000, la statuette est d’abord installée dans sa propre chambre. Sophie, née en France, multiplie dès son enfance les liens avec le pays d’origine de sa mère, dans un souhait de « devenir chinoise » selon ses propres termes.
La famille Ly-Cuong est « rapatriée » du Vietnam en 1961 à bord du paquebot Laos. Elle est hébergée dans le centre d’accueil de Noyant-d’Allier pendant deux ans, avant de déménager dans le Val-d’Oise. Du Vietnam, Bich rapporte des robes traditionnelles, et Paul, fervent accordéoniste, conserve précieusement ses partitions de musique. La louche, conservée par Bich, faisait partie des ustensiles fournis aux familles rapatriées à leur arrivée au centre d’accueil. Les objets et photographies rassemblés pour l’exposition témoignent de la trajectoire de la famille Ly-Cuong, comme de nombreuses autres, du Vietnam jusqu’à la France, en passant par Marseille.
Une partie des objets prêtés par la famille Ly-Cuong, sont en cours d’acquisition par le Musée et rejoindront, au terme de la procédure, le fonds Témoignages et Société de la collection.
Avec l’arrivée au pouvoir des communistes au Laos en 1975, de nombreuses personnes de la communauté hmong sont persécutées pour avoir combattu pour la France pendant la guerre d’Indochine. Elles fuient le pays et se réfugient en Thaïlande, en France ou encore aux États-Unis. Le village de Cacao, en Guyane, accueille de nombreux réfugiés hmong à partir de 1977. L’artisanat textile, essentiellement féminin, se développe et devient l’un des moyens de transmettre et de faire connaître l’histoire de la communauté. À travers les broderies – décoratives ou symboliques – produites pour être vendues, ces femmes perpétuent la mémoire collective de la diaspora hmong.
Cette gourde isotherme a d’abord appartenu à l’arrière-grand-mère chinoise, puis à la grand-mère cambodgienne de Sun-Lay Tan, actuel propriétaire de l’objet. Sa grand-mère, née au Cambodge en 1919, a fui le pays à l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir, en 1975, et émigré au Vietnam. La gourde isotherme a voyagé avec chacune, de la Chine au Cambodge, puis au Vietnam, et enfin vers la France au début des années 1990. Elle est le témoin des trajectoires successives des membres de la famille Tan, tous nés dans des pays différents, et représentative des itinéraires de la diaspora teochew.
En août 2016, Zhang Chaolin, originaire de la région de Wenzhou, décède à la suite d’une agression perpétrée dans une rue d’Aubervilliers. En mars 2017, Liu Shaoyao, originaire de la même région, est tué par la police à son domicile à Paris. Ces affaires suscitent des manifestations d’envergure regroupant, au-delà de la communauté chinoise, des populations asiatiques d’origines diverses. Progressivement, les revendications portées évoluent vers une mobilisation contre les traitements différenciés : violence policière, racisme, discriminations. Les photographies sélectionnées pour l’exposition, prises par de Martial Beauville co-fondateur de l’association Asiagora, ont été prises lors de ces événements.
Christel Han est l’illustratrice et Brigitte Tchao l’autrice de Made in France : 68-78, chronique d'une famille chinoise à Paris. La bande-dessinée raconte l’enfance de Brigitte et de sa famille dans le quartier Latin de Paris au début des années 1970. Pour réaliser les illustrations, Christel Han s’est inspirée d’archives photographiques personnelles, tant pour la réalisation des décors que pour la construction des personnages, donnant naissance à « La Petite », figure centrale de l’histoire. En racontant les décalages qui peuvent se produire entre enfants et parents, la coexistence d’un mode de vie chinois traditionnel et d’un mode de vie « made in France », l’histoire racontée est celle de beaucoup d’autres immigrés.
D'autres exemples des propositions de prêts que nous avons reçu sont recensés sur le site du réseau de recherche Migrations de l’Asie de l’Est et du Sud-Est en France (MAF)
Accéder aux pages sur la collecte sur le site du MAF