Football et immigration en France
En France, l’histoire du football est fortement liée à celle de l’immigration. Le football hexagonal s’est développé grâce à l’apport technique de joueurs recrutés hors du territoire national et par l’intégration des enfants d’étrangers jusque chez les Bleus. Raymond Kopa, Michel Platini et Zinedine Zidane, les trois figures tutélaires du football français, sont, à des degrés divers, des descendants d’immigrés.
Le ballon rond est ainsi un lieu de mémoire essentiel de l’histoire de l’immigration en France. L’équipe de France est à elle seule un miroir souvent grossissant, parfois déformant, des différentes vagues de l’immigration française. De même, le monde du football, ses deux millions de pratiquants, rendent compte du rapport complexe qu’entretient la société française avec les étrangers qui viennent chercher asile et travail chez elle.
De l’importation à la nationalisation : le premier football français
Comme ailleurs en Europe, le football association est d’abord un jeu importé, dont l’histoire commence en 1872 avec Le Havre Athletic Club, le premier club sportif fondé sur le sol national par des expatriés britanniques, et commence à se diffuser dans les années 1890 lorsque les Anglais du Standard Athletic Club et les Ecossais des White Rovers lancent dans la banlieue parisienne les premières compétitions de football.
Les Suisses jouent aussi un rôle important dans l’introduction du football en France notamment à Marseille où le Stade Helvétique représente avant 1914 l’excellence footballistique. Le club composé de citoyens suisses s’adjuge en effet le titre de champion de France de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) en 1909 et 1911.
Toutefois, la diffusion du football-association dans des villes et auprès d’un public plus modeste s’accompagne aussi de la nationalisation du jeu.
Contestant l’entre-soi britannique du Standard et des Rovers, de jeunes Parisiens fondent des clubs ou des équipes qui se veulent nationales comme le Club français. Et, à la veille de la Grande Guerre, les victoires du Stade helvétique font débat au sein de l’USFSA : quelle est la valeur d’un titre de champion de France, s’il est remporté par des ressortissants d’un pays étranger ?
Le recrutement d’une élite professionnelle étrangère
Le spectacle du football se développe après la création de la Fédération française de football association (1919). Pour renforcer leurs effectifs, avant même l’instauration officielle du professionnalisme en 1932, les grands clubs vont chercher à l’étranger une main d’œuvre qualifiée qui fait alors cruellement défaut dans l’hexagone.
Après avoir fait appel à des Britanniques, comme l’entraîneur écossais Victor Gibson (FC Sète, SO Montpellier, Olympique de Marseille et FC Sochaux), les clubs français se tournent vers l’Europe centrale ou l’Amérique du Sud. Durant les années trente, les équipes professionnelles françaises comptent, selon les saisons, de 20 à 35% de footballeurs étrangers. Beaucoup sont naturalisés, les meilleurs renforçant les rangs de l’équipe de France à l’instar du gardien de but viennois Rudi Hiden ou son compatriote Auguste Jordan.
L’appel aux colonies
En 1931, Raoul Diagne, fils du député du Sénégal Blaise Diagne, est le premier footballeur noir à porter le maillot bleu. Il est rejoint dans les années trente par des joueurs nord-africains, dont le Marocain Larbi Ben Barek. Passé par l’Olympique de Marseille, le Stade Français et l’Atletico Madrid, celui que la presse surnomme "la perle noire" porte le maillot bleu de 1938 à 1954.
Ses performances ont pu susciter des commentaires teintés de paternalisme voire de racisme. Il n’empêche qu’à l’aube des Trente glorieuses, les clubs français ont pris le pli de recruter en Afrique du Nord, principalement en Algérie, à l’image du robuste défenseur de l’AS Monaco, Mustapha Zitouni, ou de l’espoir de l’AS Saint-Etienne, l’attaquant Rachid Mekhloufi.
Si l’arrivée des joueurs nord-africains est fortement ralentie par les développements sportifs de la guerre d’Algérie, et notamment la constitution d’une équipe d’Algérie par le Front de libération nationale (FLN) en 1958, la relève est assurée par les footballeurs d’Afrique subsaharienne. Parmi eux, le fondateur d’une dynastie de champions : le Camerounais Zacharie Noah, père de Yannick et grand-père de Joakim.
L’équipe de France et le football, miroirs de l’immigration en France
Alors que les indépendances réduisent fortement l’arrivée des joueurs africains et que le recrutement d’éléments étrangers est limité à deux éléments par club, le rapport immigration et football prend un autre sens. Le sport en général, le football en particulier, deviennent un lieu d’intégration privilégiée pour les enfants de l’immigration. Et c’est au cours des années 1950 que la "deuxième génération" de l’immigration commence à s’illustrer sur les terrains de football.
En effet, le talent et les exploits des enfants de l’immigration polonaise (Kopa[szewski], Wisnieski), italienne (Piantoni), ou de la population européenne du Maroc (Fontaine) permettent à l’équipe de France de terminer à la troisième place de la Coupe du monde 1958 disputée en Suède. Une grande première qui permet enfin d’identifier un "style français" inspiré du Stade de Reims.
Le relais est ensuite assuré par Michel Platini le petit-fils d’immigré piémontais. De 1976 à 1986, les bleus de Platini imposent le football français sur la scène internationale en atteignant les demi-finales de la Coupe du monde (1982-1986) et en remportant l’Euro 1984. On peut lire dans la composition des équipes de France de l’ère Platini les différentes strates de l’histoire de l’immigration comme le révèlent les patronymes d’origine italienne (Battiston, Ferreri, Genghini, Platini), espagnole (Amoros, Fernandez, Lopez), ou encore africaine (Tigana), sans oublier les joueurs des DOM-TOM (Marius Trésor et Gérard Janvion).
L’exemple des Kopa, Tigana et autres Fernandez illustre donc le rôle du football dans l’intégration de jeunes nés de parents étrangers en France (Kopa) ou dans leur pays d’origine (Tigana et Fernandez). Leur succès a tendance à faire oublier la xénophobie et le racisme dont ces champions ont eu à souffrir au début de leur carrière, comme beaucoup de leur pairs qui n’ont pas connu la même réussite sportive.
Pour certains immigrés, jeunes ou moins jeunes, le football a pu aussi constituer un trait d’union avec le pays d’origine. Ainsi les déplacements en France du Real Madrid ou du Benfica Lisbonne réunissent dans le stades français les diasporas espagnole et portugaise. De même, les communautés locales ibériques ou maghrébines pratiquent également le football dans l’entre-soi des clubs communautaires, comme les célèbres Lusitanos de Saint-Maur.
Les faux-semblants de l’équipe "Black-Blanc-Beur"
C’est avec le doublé inespéré Coupe du Monde-Euro en 1998 et 2000 que l’apport de l’immigration au football français devient un véritable objet médiatique.
Les mérites de l’équipe "Black-Blanc-Beur" de Zinedine Zidane, la liesse qui saisit aussi une très grande partie de la population de l’hexagone, sont célébrés en 1998 par toutes les plumes de l’échiquier politico-médiatique, à l’exception du Front national.
De fait, l’équipe doublement victorieuse compose à nouveau une mosaïque de la diversité française mêlant provinces françaises (Blanc, Deschamps, Guivarch, Lizarazu), Europe méridionale (Candela, Pirès), DOM-TOM (Diomède, Karembeu, Henry, Lama et Thuram), Afrique subsaharienne (Marcel Desailly et Patrick Vieira) et du Nord avec "Zizou" l’enfant de Marseille, fils d’un couple d’imigrés kabyles.
L’enchantement de juillet 1998 dure peu. L’image de l’équipe et de la société multiculturelles est tout d’abord écornée par l’invasion de la pelouse du stade de France par des jeunes supporters de l’équipe d’Algérie en octobre 2001 (match France-Algérie), puis par l’élimination sans gloire au premier tour de la Coupe du monde 2002. Certes, quatre ans plus tard, Zinedine Zidane, longtemps personnalité préférée des Français selon le Journal du Dimanche, hisse à nouveau les Bleus en finale de la Coupe du monde. Mais son fameux "coup de boule" est aussi stigmatisée comme l’acte gratuit d’un voyou des quartiers, un an après l’embrasement des banlieues. Enfin, l’élimination sans gloire et surtout la grève des joueurs de l’équipe de France en Afrique du Sud (2010) suscitent une réprobation générale dans laquelle pointe souvent la stigmatisation de jeunes de banlieue issus de l’immigration.
Le football du troisième millénaire ou le jeu des identités multiples
En réalité, le paysage du football professionnel a fortement changé depuis le début des années 1990 et surtout l’arrêt Bosman (1995). L’ouverture des frontières du marché des footballeurs a partiellement dénationalisé les footballs, puisque 30 % des effectifs des clubs professionnels français sont aujourd’hui composés d’étrangers. Cette nouvelle configuration a aussi offert de nouvelles opportuités de carrière aux enfants du regoupement familial d’origine africaine, dans une société où l’ascenseur social semble partiellement bloqué.
Les meilleurs footballeurs issus de l’immigration forment une élite d’expatriés à Madrid, Londres ou Manchester qui foulent de moins en moins dans leur carrière les pelouses françaises. De plus, la Fédération internationale de football association (FIFA), en repoussant à 23 ans l’âge limite pour choisir sa nationalité sportive, a élargi les perspectives internationales des joueurs binationaux les moins doués. Ceux-ci vont renforcer les rangs des équipes nationales du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne voire d’Europe orientale.
Enfin, le développement du marché des maillots de football est venu troubler, au temps du débat lancé par le gouvernement Fillon sur « l’identité nationale », le système d’allégeance à un pays. En arborant le maillot d’un grand club européen ou celui de l’Algérie, du Maroc ou du Portugal, le pays d’origine de leurs parents et de leurs grands-parents, de jeunes français issus de l’immigration affichent, voire revendiquent, par le biais du sport une identité étrangère ou du moins multiple. Dans le même temps, le développement des groupes ultras réunissant les partisans des clubs des métropoles tels que l’Olympique de Marseille ou l’Olympique Lyonnais ont aussi permis de constrituer des communautés transcendant les différences ethniques. A ce titre, au-delà des périodes de crispations identitaires, du hasard des victoires sportives, le ballon rond reste un lieu de rencontre unique, certes parfois conflictuel, d’une France plurielle.
En savoir plus sur football et immigration :
- Podcast : Le football des nations, Conférence-débat de l'UniverCité, avec Stéphane Beaud, Université Paris Ouest Nanterre, et Victor Pereira, Université de Pau et des Pays de l'Adour. Accéder au podcast
- Podcast : Équipes nationales, clubs, de quelle identité parle-t-on ? et Ouverture ou repli sur soi ? les paradoxes du football. Tables rondes animées par Yvan Gastaut, historien des migrations. Accéder au podcast
- Dossier : "L'appel du pied, foot et immigration", dossier de la revue Hommes & Migrations (n°1285, 2010). Lire les articles en ligne
- Ouvrage : Allez la France ! Football et immigration, Catalogue de l’exposition Allez la France ! Football et immigration. Sous la direction de Claude Boli,Yvan Gastaut, Fabrice Grognet. En savoir plus