Parcours

31914-1939, engagés dans le projet impérial français

Section 2

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Albert Samama-Chikli, Devant Verdun, Ravin des Vignes, cantonnement de troupes marocaines. 13 mars 1918

La Première Guerre mondiale se traduit par des formes différentes de mobilisation militaire : conscription obligatoire pour les indigènes musulmans, mobilisation pour les juifs algériens, car citoyens français depuis 1870. Pour les juifs marocains et tunisiens, la France s’impose progressivement comme un horizon d’attente incontournable au regard de l’expérience de naturalisation massive des juifs d’Algérie, malgré l’antisémitisme virulent qui atteint ces derniers. La Grande Guerre a impulsé une émigration ouvrière importante vers la France. Entre 1921 et 1939, près de 400 000 Maghrébins, majoritairement algériens, ont traversé la Méditerranée pour travailler dans les mines du Nord, les régions parisienne et lyonnaise. De nouvelles perspectives s’ouvrent pour eux, malgré la précarité et la xénophobie liées à leur situation migratoire. L’entre-deux-guerres offre aux peuples colonisés du Maghreb des alternatives politiques inédites dans de nouvelles affirmations anticoloniales. La grande révolte arabe de 1936 en Palestine mandataire, la forte progression du sionisme et les éveils nationalistes du monde arabe creusent l’écart entre musulmans et juifs.

L’expérience de la guerre

Pour un grand nombre de juifs et de musulmans, la Première Guerre mondiale est une première occasion de découverte du sol français métropolitain. De 1914 à 1918, plus de 800 000 sujets impériaux sont venus en France pour combattre sur les champs de bataille ou pour travailler à l’arrière. La grande majorité des soldats est formée par près de 400 000 musulmans d’Afrique du Nord. Parallèlement, environ 38 000 juifs de France et d’Afrique du Nord servent dans l’armée française. Les circonstances éprouvantes de la guerre créent rapidement des liens de solidarité entre juifs et musulmans, souvent versés dans les mêmes unités « mixtes » des forces françaises.
Il existe toutefois une différence importante : les juifs d’Algérie, en tant que citoyens, servent dans une démarche d’affirmation, tandis que les musulmans d’Algérie, en tant que sujets, plaident pour l’égalité de leurs droits.

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Albert Samama-Chikli, Devant Verdun, Ravin des Vignes, cantonnement de troupes marocaines. 13 mars 1918
Albert Samama-Chikli, Devant Verdun, Ravin des Vignes, cantonnement de troupes marocaines. 13 mars 1918. Négatif noir et blanc sur plaques de verre, 6x13 cm.
© Albert Samama-Chikli/SPA/ECPAD/Défense/SPA 69 L 3344

Maghreb pittoresque, Maghreb colonial

Les villes coloniales du Maghreb font l’objet de grands investissements de modernisation alors même que les discours politiques vantent l’authenticité des cultures maghrébines, particulièrement au Maroc, sous protectorat de 1912 à 1956. Incarnée par le maréchal Lyautey résident français du Maroc (1912-1916), cette politique vise à diffuser l’image d’un pays aux traditions préservées, justifiant ainsi la présence française. De nombreux artistes ont de la sorte profité du soutien financier et matériel de la Résidence générale française pour propager le portrait d’un Maroc « authentique ». C’est le cas du peintre et photographe Jean Besancenot, qui se rend dans les montagnes marocaines pour immortaliser les populations juives, musulmanes, arabes ou berbères, alimentant ainsi un imaginaire pittoresque du Maroc.

Le 5 août 1934 à Constantine : la montée des périls

Dans la chaleur étouffante d’août à Constantine, une rumeur se répand, le 3 août 1934, dans le vieux quartier judéo-musulman (le « Charrah ») : un soldat juif aurait uriné sur une mosquée. Le lendemain, un autre bruit circule, tout aussi faux : l’assassinat par des juifs du docteur Bendjelloul, un notable très respecté dans la communauté musulmane constantinoise.
Le 5 août 1934, des émeutiers musulmans s’attaquent aux juifs. Officiellement, le bilan se monte à 26 morts (23 juifs et 3 musulmans) et 81 blessés (dont 38 juifs et 35 musulmans). L’armée française n’intervient pas pendant deux jours. Dans les milieux européens, l’antisémitisme est virulent, agité par le député-maire Émile Morinaud, ex-radical et directeur du journal Le Républicain, et les représentants locaux des Croix-de-Feu.
Cet événement tragique creuse profondément le fossé entre les communautés juive et musulmane en Algérie.

Rencontres musicales et artistiques, Paris, Alger, Tunis

La scène musicale et la peinture illustrent parfaitement les rencontres entre juifs et musulmans dans la France coloniale de l’entre-deux-guerres.  En Algérie, Edmond Nathan Yafi,l de confession juive, fonde en 1912 le premier orchestre andalou, El Moutribia, où musiciens juifs et musulmans jouent ensemble autour du ténor musulman Mahieddine Bachtarzi. Ce dernier succède à Yafil et évolue vers le théâtre. Sa troupe compte des acteurs tels que Marie Soussan et Rachid Ksentini. En Tunisie, le peintre Pierre Boucherle crée le groupe des Quatre (avec Moses Levy, Jules Lellouche et Antonio Corpora) en 1936. Après la guerre, des artistes musulmans comme Yahia Turki, Abdelaziz Gorgi, les rejoignent. L’École de Tunis naît en 1949, rassemblant des artistes de toutes confessions.