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41939-1945, le chaos de la guerre

Section 3

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Jacques Belin, « Casablanca. Premier défilé des troupes américaines, place Administrative, en présence du général Noguès et du général Kayes (États-Unis). Tout le Mellah était rassemblé place de France (13 décembre 1942) », photographie

L’occupation nazie et le gouvernement antisémite de Vichy, favorable au maintien d’un empire colonial, entraînent de profonds bouleversements. Le 7 octobre 1940, quatre jours après la promulgation du premier statut des juifs, le régime de Vichy abroge le décret Crémieux de 1870. Le retrait de la nationalité aux juifs d’Algérie opère un nivellement par le bas avec les musulmans, toujours considérés « indigènes » par Vichy. La propagande nazie et vichyste cherche toutefois à les rallier, sans grand succès.

En métropole, des juifs d’origine maghrébine tentent de se faire passer pour musulmans pour échapper aux rafles et à la déportation. Face à la suspicion du Commissariat général aux questions juives, la Grande Mosquée accorde des gages aux autorités tout en protégeant des familles juives. Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord en novembre 1942 rétablit très lentement la situation des juifs du Maghreb. Malgré de réelles avancées, le gouvernement provisoire de la République hésite à permettre aux musulmans d’accéder à l’égalité civique complète, leur laissant un goût amer à la victoire des Alliés.

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Anonyme, Lamentations juives devant les cerceils [sic], 5 août 1934
Anonyme, Lamentations juives devant les cerceils [sic], 5 août 1934, épreuve au gélatinobromure d’argent présentée dans un album photographique, 19,3 × 15 × 3,5 cm.
© Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Paris
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Jacques Belin, « Casablanca. Premier défilé des troupes américaines, place Administrative, en présence du général Noguès et du général Kayes (États-Unis). Tout le Mellah était rassemblé place de France (13 décembre 1942) », photographie
Jacques Belin, « Casablanca. Premier défilé des troupes américaines, place Administrative, en présence du général Noguès et du général Kayes (États-Unis). Tout le Mellah était rassemblé place de France (13 décembre 1942) », photographie. Archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Centre des Archives diplomatiques de Nantes.

Face à la défaite

L’annonce de la défaite de l’armée française en juin 1940 est une énorme surprise en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Désormais, la France est vue comme un colosse aux pieds d’argile. L’arrivée au pouvoir de Philippe Pétain et la réhabilitation de l’armée d’Afrique dans le dispositif du nouvel État français sont accueillies avec ferveur par une grande partie de la communauté européenne. C’est le retour de l’ordre colonial assuré, après les incertitudes de la période du Front populaire avec le projet Blum-Viollette et la promesse de la citoyenneté française accordée à quelques milliers de notables musulmans. Les Algériens musulmans, dans l’expectative, attendent de savoir ce que l’avenir leur réserve. Les juifs sont vite fixés : dès le 3 octobre 1940, le décret Crémieux est abrogé, retirant la nationalité à tous les juifs d’Algérie, qui redeviennent ainsi des « indigènes ».

 

Racialisation et propagande

Après l’abrogation du décret Crémieux se met en place une politique de « racialisation » qui rétablit une hiérarchie entre les principales communautés. Les « Européens », Français venus de métropole mêlés aux Italiens ou Espagnols devenus français par le décret de naturalisation de 1889, conservent leurs droits de citoyens. Les juifs sont exclus de la fonction publique. Un numerus clausus est imposé dans les écoles et les universités. Médecins et avocats juifs ne peuvent plus exercer librement leur métier. Dans un premier temps, les notables musulmans, comme Ferhat Abbas, s’adressent au maréchal Pétain pour demander l’élargissement de leurs droits. L’autre dirigeant nationaliste algérien, Messali Hadj, réclame de son côté la libération de tous les prisonniers politiques. Ni l’un ni l’autre n’obtiendront satisfaction. Le régime de Vichy n’accordera aucun droit particulier aux « indigènes musulmans ».

Solidarités

En s’attaquant aux juifs, les autorités pétainistes espéraient rallier les leaders musulmans. En prétendant rétablir l’égalité entre juifs et musulmans, elles proposent en fait une égalité par le bas. Contrairement à leurs attentes, l’abrogation du décret Crémieux renforce les aspirations des Algériens musulmans à l’indépendance, nées dans les années 1920. Pour l’indépendantiste Messali Hadj, l’attitude de la France coloniale envers les juifs est une preuve supplémentaire que celle-ci n’accordera jamais de nouveaux droits aux musulmans. Ferhat Abbas, qui lui se bat pour une forme d’extension du décret Crémieux aux musulmans, déclare : « La France peut reprendre d’une main ce qu’elle a donné de l’autre. »  Alors qu’une loi autorisait la spoliation des biens juifs, la plupart des musulmans ont refusé de profiter de cette situation, qu’ils avaient eux-mêmes subie lors de l’arrivée des Français en Algérie.

Une victoire au goût amer

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Kamel Yahiaoui, Mémoriel Sétif Guelma Kherrata, 1995

Kamel Yahiaoui, Mémoriel Sétif Guelma Kherrata, 1995, dessin sur papier arche, 106 × 75 cm, Collection de l’artiste
© Kamel Yahiaoui

Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 à Alger, les autorités françaises craignent un supposé ressentiment des musulmans si les juifs récupèrent leurs droits. Par ailleurs, l’antisémitisme de certains cercles dirigeants des Européens d’Algérie reste encore très vivace. Le général Henri Giraud, nouvel homme fort d’Alger et lui-même antisémite, soutenu un temps par les États-Unis, n’imagine pas redonner la citoyenneté française aux juifs. Le général de Gaulle rétablira le décret Crémieux à la fin du mois d’octobre 1943, aidé par la gauche républicaine et les responsables de la communauté juive. En mai 1945, la sanglante répression à Sétif et Guelma va, de nouveau, ébranler l’édifice colonial, et rendre visible la forte aspiration à l’indépendance de l’Algérie manifestée par les leaders de la communauté musulmane.