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L’Algérie au cœur des passions. Idées reçues sur une histoire et une actualité mouvementées

A l’heure où ce pays est toujours au cœur de l’actualité, Georges Morin publie un ouvrage revu et actualisé, joliment intitulé L’Algérie au cœur des passions, qui revient sur nombre d’idées reçues, dans l’indispensable collection du même nom. Le grand mérite de ce livre est son approche à la fois thématique et chronologique, sur le temps long, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, dans le contexte post printemps arabe. L’histoire et l’actualité brûlante entrent ainsi en résonance. 

Dix-sept idées reçues sont donc passées au crible pour démêler le vrai du faux et permettre au lecteur une plus juste appréhension des réalités complexes de ce pays, souvent objet de fantasmes et de clichés. A ce titre, l’analyse des préjugés présentant l’Algérie comme une terre perpétuellement occupée par des puissances étrangères, secouée à intervalles réguliers d’insurrections violentes, est particulièrement édifiante : "les périodes d’occupation représentent 59% de ce temps d’histoire et les périodes d’autonomie 41%" (page 25).

Pour l’Algérie d’hier, les principales idées reçues portent sur les conquêtes et les occupations, la décolonisation et les diverses populations ayant vécue en Algérie notamment pour la partie contemporaine, les harkis, les juifs, et les pieds-noirs. Pour l’Algérie d’aujourd’hui, les idées reçues concernent l’identité plurielle de ce pays et ses composantes berbère, arabe, francophone ; ainsi que les soubresauts politiques des cinquante dernières années. Les liens tissés, bon gré mal gré avec la France, dans leurs aspects économique, culturel, humain, ne sont pas oubliés par Georges Morin, infatigable artisan du rapprochement franco-algérien, en particulier à travers son association "Coup de Soleil".

L’auteur commence par démontrer que l’Algérie a, contrairement à certains clichés, engendré de grands hommes au fil de son histoire, autant de "leaders dont la tâche première – et cela est révélateur des tendances lourdes de cette histoire – a toujours consisté à juguler les ferments de division qui n’ont cessé de menacer la cohésion interne du pays" (page 44). Si l’ouvrage passe sans doute trop rapidement sur les royaumes arabo-berbères de l’époque médiévale ou sur le régime de l’empire ottoman, il saura répondre aux attentes des lecteurs quant à la période contemporaine.
Les questions relatives à la guerre d’indépendance et à l’immigration algérienne en France ne sont pas directement abordées, mais les pages consacrées au système colonial ou à l’histoire politique algérienne après 1962, permettent de mieux les éclairer et les contextualiser.
A ce titre, mentionnons la déconstruction, avec force exemples, de l’idée reçue : "l’Algérie de 1830 était en friche ; les Français l’ont mise en valeur" ou du spectre de la repentance, qui ne fait qu’exacerber les blessures mémorielles : "les mémoires douloureuses des uns et des autres ont du mal à cicatriser, elles continuent à s’entrechoquer, minant nos sociétés et entravant sans cesse la nécessité vitale où se trouvent les deux peuples, au XXIe siècle, de travailler ensemble pour l’avenir" (page 177).

Le texte est accompagné de précieux outils de connaissances : des citations (Kateb Yacine, Ferhat Abbas…), des définitions, notamment étymologiques (savez-vous d’où vient le mot Algérie ?), des tableaux statistiques, des graphiques, des repères chronologiques. Autre instrument didactique : de grandes chronologies très claires présentant 23 siècles d’histoire, depuis -332 avant Jésus-Christ et les Carthaginois, et traversant toutes les phases d’occupation (Rome, Byzance, les Arabes, les royaumes arabo-berbères, l’Empire ottoman, la colonisation française) jusqu’à l’indépendance et la proclamation de la République algérienne démocratique et populaire.
Les 202 pages sont également parsemées de superbes dessins, certains extraits des fameux Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez, d’autres de Dahmani sur les grandes figures historiques de l’Algérie (Massinissa, Saint-Augustin Abdelkader, Abane Ramdane), mais aussi unes sélection des meilleures caricatures de la presse française et algérienne, celles de Le Hic (El Watan), Plantu (Le Monde) et Dilem (Liberté).

En bref, un bel ouvrage de médiation et de réconciliation, pour mieux se comprendre entre "voisins de palier" !

Peggy Derder
 

Georges Morin, L’Algérie au cœur des passions. Idées reçues sur une histoire et une actualité mouvementées, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu, collection « Idées reçues », 2012, 202 pages.