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L’Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa

Ce premier roman, loufoque, invraisemblable est une fable drôle qui, avec humour et poésie, traite d’un sujet omniprésent – en littérature ou à l’écran plus que sur nos frontières – : l’immigration ! 

Puértolas ne pose pas en donneur de leçons mais offre l’occasion de modifier notre regard sur les "clandestins" ou l’intégration. Fable aux accents philosophiques aussi car ce curieux fakir, clandestin malgré lui, apprendra que "le monde n’était pas fait que d’arnaqueurs, de tricheurs et de charognes. Et ces derniers jours les rencontres lui avaient enseigné qu’il y avait bien meilleur profit que de prendre l’argent frauduleusement aux gens, celui de donner et de faire le bien autour de soi". Matthieu Ricard et Romain Puértolas, même combat !

Comme souvent en matière migratoire, le global contribue à expliquer le local. Ikea ne pouvant ouvrir de magasins au pays des maharadjas, Ajatashatru Lavash (se reporter au livre pour les différentes prononciations), fakir de son état, embarque pour Paris ; un aller/retour fissa histoire de se procurer le dernier modèle de lit à clous "Kisifrötsipik" de l’enseigne suédoise. Débarqué à Roissy, il saute dans le taxi de Gustave Palourde (pour les intimes), Gitan rancunier (pour le commun) pour l’Ikea censé être le plus proche. L’Indien, grâce à ses tours de passe-passe, arnaquera de cent euros le Gitan ! Mais voilà (pour l’histoire et pour le style), "s’il y avait bien quelque chose que le taxi parisien ne supportait pas, c’était d’être le filou filouté, l’arroseur arrosé, le dindon de la farce, le con du dîner. Il se promit de retrouver l’Indien sur-le-champ et de lui faire manger son turban, parole de Gitan". Et cela durera jusqu’à l’happy end.

Chez Ikea, Ajatashatru, maitre es filouteries, abusera de la naïveté d’une certaine Marie Rivière qui, pour se faire pardonner d’une faute qu’elle n’a pas commise, invitera à déjeuner cet étranger à l’exotisme attendrissant. Histoire de repartir au plus vite le lendemain, avec son lit sous le bras, Ajatashatru décide de dormir céans. Les chambres à coucher et les lits ne sont-ils pas surabondants ici ? Mais notre homme, tout à sa découverte du luxe occidental, sera dérangé nuitamment. Il se réfugie dans une armoire qui, le pauvre l’ignorait, doit être expédiée en Grande-Bretagne. Dans le camion qu’il le transporte, il sympathise avec les "Jackson Five", cinq migrants clandestins soudanais en mal de Tamise, dont le dénommé Wiraj. De là, Schengen oblige, il sera convoyé manu militari vers Barcelone où, caché cette fois dans la malle de Sophie Morceaux, il se retrouve en partance pour l’Italie. A Rome, il doit fuir les velléités meurtrières de Gino - coiffeur de son état mais surtout cousin de Gustave Palourde - en embarquant dans une Montgolfière. Après un détour par la Libye de l’après Kadhafi, Ajatashatru regagne enfin la France. Ces neuf jours auront transformé sa vie, sa vision du monde itou, illustrant la leçon d’un Mohamed Dib : "un migrant qui ne reste qu’un immigré, est un migrant raté". L’homme n’était plus le même au physique comme au mental. L’égoïste et mystificateur d’hier "allait s’affairer à devenir quelqu’un de bien", débordant "d’amour, de compassion et de fraternité". Car dans son périple européen, il a découvert la solidarité, l’amitié et l’amour : "les « beaux pays » étaient vraiment une boîte de chocolats pleines de surprises. Et la police n’était pas toujours le comité d’accueil".
L’optimisme et la réjouissante bouffonnerie – qui peuvent réconcilier le lecteur avec l’humanité - ne doivent pas être assimilés à une niaiserie mais à une fable, source d’enseignements, politiques et moraux.

Disséquant les pratiques des polices des frontières, il montre comment les migrants sont devenus des projectiles que les Etats se refourguent. "D’une certaine manière, ils avaient réussi à l’inventer leur foutue catapulte à immigrés". Et l’épisode du policier britannique d’origine indienne qui, plus royaliste que la reine, ne veut même pas entendre les explications du fakir, en dit autant sur la loyauté de ces nouveaux sujets frappés parfois de suspicion que sur les identités qui, comme l’écrit Boualem Sansal "ne s’additionnent pas, elles se dominent. Et se détruisent" (Rue Darwin, Gallimard, 2011).
Le héros découvre le monde des "clandestins" : "loin de leur maison, ils redevenaient tous des enfants apeurés que rien ne pouvait consoler si ce n’est le succès de l’entreprise". Car ce sont des entrepreneurs, mais aussi les seuls vrais aventuriers de ce siècle, qui jouent leur vie pour accomplir une "mission" - "chercher du travail et envoyer de l’argent à leurs familles" -, mission si impérieuse que même l’amour ne doit pas les en détourner.

Ce singulier fakir ne se contente pas, par un de ses tours de magie, de dévoiler une part du réel. Il indique un chemin. En Libye, Ajatashatru retrouve Wiraj qui, une nouvelle fois refoulé, tentera de retourner en Europe. Wiraj a contribué à faire d’Ajatashatru un homme meilleur, ce dernier lui demande, en retour, d’accepter son argent (et oui, il est devenu un riche écrivain) : "fais-le pour moi, Wiraj. Plus de soute de bateau, de coffre de voiture, de camion de marchandises. Je veux que tu sois un homme libre, pas un homme traqué vivant dans la peur. Un homme bousculé de pays en pays. Redeviens un père. Tes enfants t’attendent." Cette parabole de l’entraide et de l’échange semble bien éloignée des logiques de fermeture et d’une aide qui signent la domination et la supériorité de celui qui détient les cordons de la bourse et la clef du paradis. Imprimé à 110 000 exemplaires, le roman fait partie des meilleures ventes du moment. Un succès bien mérité pour une fable bien salutaire par les temps qui courent.

Mustapha Harzoune 

Romain Puértolas, L’Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa, Le Dilettante 2013, 253 pages, 19€.