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La cuisine d’Alexandre Dumas

L’époque est au métissage, aux dialogues et aux rencontres des cultures, aux identités composites et en mouvement. Cela se vérifie dans nos livres, sur nos vêtements, dans nos loisirs ou encore dans nos assiettes. On en oublierait que le XIXe siècle su aussi produire quelques mélanges nés de la mobilité des hommes, mobilité heureuse ou plus funeste comme le furent l’esclavage et la colonisation, symboles de la domination de l’homme blanc sur ses semblables. 

Pour en rester aux parutions récentes, dans Sympathie pour le fantôme (Gallimard, 2010) Mikhael Ferrier "ressuscitait" Jeanne Duval, la "Vénus noire" inspiratrice de Baudelaire ou encore Ambroise Vollard, marchand d’art et découvreur de Van Gogh, Cézanne ou Picasso. Christophe Carrère dans la biographie qu’il lui a consacré, fait du poète Leconte de Lisle, né à La Réunion, "un être métissé, morcelé, fragmenté, brisé, un poète immigré, moderne parce que bigarré, pluraliste et nomade, à dimension universelle" (Fayard, 2009). Si Zola arrive de la proche Italie, le grand - et gros - Alexandre Dumas est par son père - général d’Empire et "Diable noir" des Autrichiens - le petit-fils d’une esclave. Babette de Rozières rapporte que Napoléon Bonaparte – qui en 1802 rétablie l’esclavage que la Révolution avait aboli - n’aimait pas ce général métis et républicain puisqu’il n’accorda à sa veuve qu’une dérisoire pension.

Si Babette de Rozières consacre un livre à Dumas ce n’est pas tant parce que "Dumas possède tous les travers de l’Antillais. Physiquement, il a la physionomie du nègre, ce qui lui vaudra bien des humiliations de son temps où le racisme s’exprime crûment", mais plutôt parce que "cet Antillais" était "amoureux des bonnes choses". Qu’il avait un "appétit d’ogre" et que chez lui, "la table est un art qui suit la cuisine et qui, bien souvent, précède le lit". "Par nos origines, je me sens proche de lui, écrit-elle, mais aussi par sa manière d’aborder la cuisine : nous parlons le même langage". Babette de Rozières respecte scrupuleusement les recettes du maître, à l’exception d’un ou deux ajouts, ici ou là, histoire de moderniser ou d’épicer un peu plus les plats, une façon aussi d’adapter certaines préparations aux estomacs légers, aux palais soucieux de diététique et au temps mesuré de ses contemporains.
Dumas s’attabla à la rédaction de son Grand dictionnaire de cuisine en 1869. Il fut achevé après sa mort par un certain Anatole France. Il contient pas moins de 3000 recettes ! Babette de Rozières en propose ici soixante, depuis les entrées jusqu’aux desserts. Le livre est richement et magnifiquement illustré : avec une prédilection pour le château de Monte-Cristo à Port Marly, son salon mauresque le tout agrémenté de citations tirées du Grand dictionnaire, des Mémoires, des Trois mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo et autres.
3 000 entrées donc pour ce Dictionnaire, c’est subodorer que l’écrivain était un curieux insatiable, un "boulimique" dont les recettes trouvent tout autant leur origine dans l’enfance campagnarde de l’auteur, riche en chasses et braconnages - "c’est un bon coup de fusil avant d’être un bon coup de fourchette" -, dans ses nombreux voyages (Suisse, Allemagne, Espagne, Russie, Finlande, Afrique du Nord, Italie…) que dans les origines familiales. Les épices les rappellent : la muscade dans le Céleri à la crème, le lait de coco dans les Artichauts au gras, le piment dans les Escargots à la provençale ou encore le rhum ambré et le piment de Cayenne dans la Bisque normande ou potage aux pouparts.

Les achards, spécialités créoles, sont chez Dumas objet de métissage ; il y ajoute des champignons de Paris – son "péché mignon" dixit Babette de Rozières qui complète la préparation de carottes et haricots verts. Dumas le cosmopolite agrémente son Kari de poulet à l’indienne, de lard et toujours de ses champignons de Paris.
Le riz est à la créole. La Vinaigrette à la Dumas - riche de soja, paprika et autre poivre rouge - ragaillardira le (ou la) plus froid(e) des convives. Chaude ambiance ! D’autant plus que Babette de Rozières verse quelques cuillères de rhum dans le Pudding de pomme de Reinette au raisin muscat, les Darioles à la duchesse ou les Gaufres aux pistaches. A déguster et sans modération et tant pis pour les culs-bénis et les ventres mous de la moderne urbanité. Il restera toujours le Potage santé aux oignons pour se remettre !

Mustapha Harzoune 

La cuisine d’Alexandre Dumas, par Babette de Rozières. Photographie de Philippe Asset, Edition du Chêne 2013, 208 pages, 35€.