La guerre d’Algérie
Au cœur de toute la floraison éditoriale qui marque cette année du cinquantenaire de la fin de la guerre d’indépendance algérienne, ce coffret proposé par Radio France – France culture en partenariat avec l’INA est exceptionnel. Il rassemble en un CD d’une durée de 9h38 des archives sonores de l’époque et des témoignages recueillis de part et d’autre de la Méditerranée.
Ce montage d’archives radio, d’entretiens et de lectures, réalisé par Christine Bernard-Sugy, a été présenté pour la première fois il y a 25 ans dans une série d’émissions de Patrice Gélinet. Comme il l’affirme lui-même dans la préface du livret accompagnant le CD : « les blessures (…) des deux côtés de la Méditerranée n’étaient toujours pas cicatrisées et il semblait impossible de jeter sur elle un regard impartial. Pour en parler il fallait donc laisser s’exprimer toutes les passions contradictoires qui avaient provoqué le dernier grand drame de notre histoire nationale ».
L’ensemble est présenté en dix chapitres, suivant l’ordre chronologique des huit années de cette « guerre sans nom », depuis « les origines » du conflit évoquant les massacres du 8 mai 1945 jusqu’à « l’exode » de l’été 1962 en passant par « la bataille d’Alger (1957) » et le retour du général De Gaulle et son « Je vous ai compris (1958) ».
La mise au point historique, rédigée par l’historienne Naïma Yahi en introduction du livret est donc très précieuse, d’autant plus qu’elle n’omet pas les enjeux mémoriels de la guerre d’indépendance.
Tous les acteurs politiques, de chaque camp, se succèdent. L’auditeur peut ainsi entendre ou réentendre François Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1955, annoncer la répression à l’encontre des responsables de l’insurrection de la Toussaint rouge ; ou Ahmed Ben Bella, qui n’est pas encore devenu le premier président de l’Algérie indépendante, revenir sur les raisons de son engagement nationaliste. Les archives radiophoniques de la Phonothèque permettent de revivre, cinquante ans après, les événements. Au-delà des voix et des discours, notamment de Ferhat Abbas ou du général de Gaulle, comme il est impressionnant d’entendre les manifestations du 13 mai 1958 dans le centre d’Alger !
Durant cette guerre, qui est aussi un affrontement des idéologies, des valeurs morales, des engagements ; les intellectuels se sont abondamment exprimés. L’ethnologue et ancienne résistante Germaine Tillion a joué un rôle de premier plan : elle fustige l’octroi de pouvoirs de police à l’armée et dans un autre extrait raconte son entrevue avec Yacef Saadi, chef du FLN et responsable des attentats à Alger. Pierre Vidal-Naquet se prononce contre l’usage de la torture. Francis Jeanson explique l’organisation du réseau français de soutien d’aide au FLN, surnommé « les porteurs de valises » qu’il a impulsé, qui lui vaut une lourde condamnation en 1960 et est à l’origine du Manifeste des 121. L’écrivain algérien Kateb Yacine revient sur les principes de la lutte anti-impérialiste.
Les témoins, aux patronymes moins célèbres, ne sont pas oubliés. Qu’ils aient subi ou qu’ils aient participé, leur récit est précieux pour comprendre le combat dans les maquis, l’engrenage meurtrier de l’OAS ou l’exode des Européens en 1962.
Les répercussions du conflit en métropole sont également abordées, en particulier la sanglante manifestation du 17 octobre 1961 et le drame de Charonne le 8 février 1962.
Ce document unique présente ainsi une vision plurielle et équilibrée de la guerre d’indépendance algérienne. Il constitue un outil précieux pour les historiens, les étudiants, ou les enseignants et plus largement une belle source de connaissances et d’émotions sur cette période.
Peggy Derder
La guerre d’Algérie – Patrice Gélinet, Christine Bernard-Sugy (réalisation) – CD (9h38) – Paroles / Radioscopie / Radio France / INA / Harmonia mundi distribution