La loi du marché
C'est une France grise, dure, triste, où chacun a intériorisé la loi du marché : sauve qui peut et malheur aux faibles.
Depuis son licenciement, il y a quinze mois, Thierry, la cinquantaine, marié et père d'un adolescent handicapé, est tombé du mauvais côté de la barrière, celui où, tête baissée, on encaisse les coups en serrant les dents. Il sait trop bien que sa révolte (contre l'indifférence de Pôle Emploi, les conseils doucereux de la banquière, le radin qui, flairant sa détresse, cherche à faire baisser le prix du mobil-home qu'il se résout à vendre) n'a pas droit de cité. Pour survivre, il faut ravaler l'humiliation, comme dans ce stage dérisoire de réinsertion où, jouant le seul jeu qu'on leur propose, d'autres chômeurs le clouent au pilori, détaillant en une longue et impitoyable séquence son inaptitude à se vendre. Et puis Thierry trouve un emploi, ou plutôt un contre-emploi : agent de sécurité dans un hypermarché, il apprend que "les voleurs n'ont pas d'âge et pas de couleur". Tout le monde est suspect, surtout les caissières, leurs collègues, qu'il faut tenter de prendre en flagrant délit de faute professionnelle, pour aider le patron, qui veut pousser ses marges, à licencier gratuit...
Au plus près de son héros vaincu, extraordinairement incarné par Vincent Lindon - le rôle lui a valu à Cannes le prix d’interprétation masculine -, Stéphane Brizé ne nous laisse jamais détourner les yeux de la vilénie ordinaire qu'il dépeint, sans manichéisme ni effets de manche. Est-ce parce qu'autour du comédien, à qui le cinéaste, après Mademoiselle Chambon et Quelques jours de printemps, offre pour la troisième fois un premier rôle, et quel rôle, tous les acteurs sont non professionnels ? Le réalisme de son film, porté par une colère sourde, est saisissant.
Irène Berelowitch
Film de Stéphane Brizé (France, 2015, 1h33mn)
Avec Vincent Lindon, Karine De Mirbeck, Matthieu Schaller, Saïd Aïssaoui, Françoise Anselmi
Prix d’interprétation masculine pour Vincent Lindon, Cannes 2015