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La Nueve. Les républicains espagnols qui ont libéré Paris.

Les premiers chars de la Deuxième DB du général Leclerc qui défilent dans Paris libéré en août 1944 sont baptisés "Madrid", "Teruel", "Guadalajara"… autant de noms de villes espagnoles où les Républicains combattirent les troupes de Franco. Les premiers soldats de la France libre à progresser dans les rues et les avenues de la capitale furent de ci-devant réfugiés. D’ex parias internés dans des camps en France ou au fin fond du Sahara pas encore algérien. Des rescapés d’une politique d’asile qui, déjà, maugréait, rechignait à accueillir la lie de la terre, une terre espagnole ici, et une lie "rouge", grosse d’autant de communistes et autres anarchistes.

La Nueve, c’est la 9e compagnie du régiment de marche du Tchad. Elle était constituée de 160 hommes dont 146 Espagnols. Tous républicains. Elle fut de tous les combats contre le nazisme, depuis les campagnes d’Afrique du Nord jusqu’à la campagne d’Allemagne en 1945. En passant, si l’on ose dire, ces Espagnols contribuèrent à libérer la France. Le coq gaulois s’abstiendra de coqueriquer trop fort à la gloire de ces métèques. Et d’autres ! Cette histoire tomba dans l’oubli. De la guerre d’Espagne, après le coup de force de Franco, on ne retient, de ce côté-ci des Pyrénées, que ces colonnes de réfugiés accablés de malheur cherchant un asile dans la patrie des droits de l’Homme.
La Retirada. On a oublié la part honteuse de cette odyssée : l’ "accueil" musclé des tirailleurs et autres spahis, les camps, les déportations, les familles séparées, l’humiliation… Il semble qu’on ne se soit pas montré plus scrupuleux en ce qui concerne la part lumineuse. Les républicains espagnols furent de tous les combats et en première ligne souvent. Parmi les plus acharnés aussi à affronter le fascisme. Soldats "indisciplinés", comme il est dit, mais expérimentés, ils furent parmi les plus valeureux. On le sait, pour ces Espagnols, la Seconde Guerre mondiale a commencé en Espagne, en 1936. En s’engageant, ils poursuivaient leur combat et restaient fidèles à leurs idéaux. En s’engageant, ils pensaient que la guerre se terminerait avec la chute de Franco. Il n’en fut rien. Franco pouvait dormir tranquille, et les républicains espagnols exilés rejoindre le long cortège des oubliés de l’histoire, se faire un nœud à la mémoire blessée et se la glisser, avec quelques souvenirs, dans le noir d’une vieille valise.

Dans ce volumineux album de plus de 300 pages, Paco Roca raconte cette longue odyssée. Depuis le port de Valence et la fuite devant les troupes franquistes jusqu’aux combats en Alsace, en passant par Oran et la campagne de Tunisie. Celui qui raconte, est un vieil, un anonyme immigré espagnol interviewé par un jeune et pressant journaliste. Une irruption qui perturbe un patriarche de quatre-vingt quatorze ans qui, chaque matin, s’en va fleurir une tombe au cimetière avant de passer à la boulangerie… Le nonagénaire s’appelle Miguel Ruiz. Pour l’histoire, il est Miguel Campos porté disparu le 14 décembre 1944, en Alsace. Notre jeune reporter et avec lui le lecteur iront de surprise en découverte, de confidence intime en fait d’arme.

Le passage entre le temps de la guerre et le présent de l’entretien est aussi graphique, visuel : noir et blanc et dessins dépouillés pour la période contemporaine, couleurs et multiplication de détails pour les pages portant sur le passé. Réalisme, nourri d’une solide documentation historique, plans serrés, ligne claire, - on pense bien sûr à Hergé - scénario parfaitement ficelé, telle est La Nueve de Paco Roca. Sans oublier cet halo de lumière qui rayonne des principaux personnages, la tendresse et la sensibilité du trait, le trait fraternel de Paco Roca.

Mustapha Harzoune

Paco Roca, La Nueve. Les républicains espagnols qui ont libéré Paris. Préface d’Anne Hidalgo, Delcourt/Mirages 2014