La Permanence
La permanence d’accès aux soins de santé (PASS) est à l’hôpital Avicenne, en Seine-Saint-Denis. Un groupe de médecins y reçoit des primo-arrivants sans rendez-vous.
La cinéaste Alice Diop, sociologue et historienne de formation, nous invite à la consultation hebdomadaire de médecine générale du docteur Geeraert, toujours accompagné d’une psychiatre.
"Tu commences par ceux qui ne sont pas assurés sociaux", lui demande un matin l’assistante sociale du service. Elle ne voudrait pas sortir trop tard, ce soir-là. "Ça va être dur", lui répond le médecin qui se penche sur les dossiers, et lit: "575, 575, 575...". "C’est le numéro de tous ceux qui n’ont pas de sécu", précise-t-il à la réalisatrice. Le choix d’Alice Diop pour le plan fixe sans aucun commentaire rappelle le parti pris de Raymond Depardon dans Délits Flagrants tourné dans les sous-sols du Palais de justice de Paris.
A Bobigny, les patients se succèdent devant la caméra et derrière le bureau du gentil docteur. Les maux sont surtout psychiques. Les images fixes s’attardent sur les visages épuisés et perdus. La dureté matérielle et morale de l’exil nous éclate à la figure, comme la solitude de ces hommes et femmes qui ont quitté leur pays pour demander l’asile en France. La phrase de Fernando Pessoa citée en introduction du film prend tout son sens :
On m’a parlé de peuples, et d’humanité.
Mais je n’ai jamais vu de peuples ni d’humanité.
J’ai vu toutes sortes de gens, étonnamment dissemblables,
Chacun séparé de l’autre par un espace dépeuplé.
Le médecin établit pourtant le contact le temps de la consultation. Il parle même anglais et espagnol. L’exilé devient un patient et se lâche enfin. Il raconte les coups reçus dans le pays qu’il a fui ; elle pleure ; il dit la douleur de l’éloignement ; elle montre ses blessures ; il avoue sa déception face à l’accueil en France ; elle cherche un espoir auquel se raccrocher...
Le docteur est humain, tellement humain qu’il avoue même son agacement quand, pour la dixième fois, un homme lui répète : "you saved my life". Il dit sans détour à celui qui souffre de dépression chronique qu’il consomme trop de médicaments, mais comprend que l’homme n’en puisse plus d’attendre la réponse de la préfecture pour savoir s’il aura le droit de rester ici.
Il y a ce journaliste guinéen, le dos lacéré par des coups de crosses et qui dort dans la rue. "Un ami m’a dit de voir un médecin traitant pour dire...", commence l’homme, "... que tu as vraiment besoin d’un logement ?" finit le docteur. De guerre lasse, le Dr Geeraert préfère plaisanter devant la lenteur des démarches administratives : "Tu peux leur dire que tu as peut-être Ebola, et là, ils vont te trouver une chambre pendant un mois. Tu seras gâté et tout !"
Le médecin sait qu’il est là pour délivrer un certificat qui accélèrera peut-être la procédure de régularisation ou aidera à obtenir un sursis... avant l’expulsion. Quand le journaliste obtient finalement le statut de réfugié, le médecin n’en revient pas : "Al hamdoula ! C’est rare. C’est une nouvelle vie qui commence !". L’homme n’arrive pas à sourire. Il a toujours mal, il est au RSA, sa famille n’est pas encore là et il ne reviendra plus jamais chez lui. Le médecin lui dit que cela pourrait être pire : "Vous allez avoir les soucis d’un homme libre !", mais il sait que le cauchemar a duré trop longtemps pour se mettre à rire dès la première bonne nouvelle.
La Permanence est un havre de paix et de gentillesse dans un océan de violence et de solitude. Merci à Alice Diop de nous avoir permis de rentrer discrètement dans ce lieu d’humanité.
Catherine Guilyardi
Sélection officielle du Cinéma du Réel 2016
Prix de l'institut français Louis Marcorelles.
Ce film est au catalogue de la Médiathèque du Musée national de l’histoire de l’immigration et est visible sur place.