Le Couvre-feu d’Octobre
Octavio et Judith s’aiment. Lui est espagnol par sa famille, elle est juive, d’une longue lignée de juifs algériens. Nous sommes à Oran, juste avant que les Algériens décident de prendre leur destin en main. Ici, les rapports entre les communautés, entre les "indigènes" et les "Français", n’ont rien de fraternels. Qu’importe ! Octavio et Judith se moquent eux des interdits confessionnels et des fermetures communautaires. Ils s’aiment et voilà tout. Pourtant, alors qu’il est à Paris pour y poursuivre des études, Judith épouse le frère aîné d’Octavio, un frère avec qui elle ne partage rien, ou si peu, et qui, en digne fils de son père, se montre même un brin antisémite. Il s’agit là d’une invraisemblance – il y en a deux trois dans le texte -, à tout le moins d’une incompréhension dans ce premier roman ambitieux et exigeant.
Le monde d’Octavio s’écroule. Cette double trahison en préfigurera d’autres. Histoire de blackbouler l’Algérie de papa (et de Judith) et de trouver un exutoire à la rancœur qui le consume, Octavio s’engage pour l’indépendance algérienne et participe aux actions clandestines et violentes du FLN. Mais ce combat est-il le sien ?
Au centre de ce récit, il y a la description du bidonville algérien de Nanterre : le quotidien, la solidarité, les conditions misérables, le froid, la faim, la boue, la peur et l’abnégation de ces familles immigrées, prises en otage entre l’organisation clandestine, les exécutions sommaires, l’élimination de "tous ceux qui, chez les uns ou chez les autres, pouvaient servir de temporisateurs dans les conflits qui opposaient les population" et les descentes meurtrières de la police française, les scènes d’humiliation et les séances de torture. Lancelot Hamelin montre la part prise par l’immigration algérienne dans le combat pour l’indépendance, il souligne combien l’Algérie n’a longtemps tenu qu’à un fil et que ce fil justement était son immigration.
Judith et son mari se sont aussi installés à Paris. Le frère aîné, jamais nommé dans le roman, est gardien de la paix, proche de l’OAS. Avec ses collègues, il ratonne et expédie ad patres les malheureux Algériens qui croisent sa route. Un soir de décembre 1960, Octavio frappe à la porte du couple. Il est malade. Traqué, il cherche un abri. Le temps est venu aussi d’apporter des réponses aux nombreuses questions restées en suspens. Sans mentir cette fois, ni à soi, ni aux autres.
Dans une dramaturgie implacable, Hamelin démêle les ressorts souterrains des actes et des dires de ses personnages, les égarements et les reniements des uns et des autres qui débouchent sur autant d’impasses, d’échecs ou de constructions bancales.
Cette histoire, à la fois collective et intime, est racontée par Octavio dans une longue lettre adressée à Judith et dont il faut attendre les dernières pages, écrites par une autre main, pour en connaître les ultimes avatars.
Malgré un texte touffu, qui aurait gagné à être fluidifié, Lancelot Hamelin se montre convainquant et c’est avec force qu’il invite à saisir, à travers ces trajectoires individuelles, les angles morts de l’histoire coloniale française et ceux de la mystique nationaliste algérienne.
Mustapha Harzoune
Lancelot Hamelin, Le Couvre-feu d’Octobre, L’Arpenteur 2012, 390 pages, 21,50€.