La sélection 2020 du Prix littéraire de la Porte Dorée

Retrouvez ici la présentation de la sélection de la 11e édition du Prix littéraire de la Porte Dorée.

Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena, éditions P.O.L.

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1940, Buenos Aires. Vicente Rosenberg, juif polonais, a émigré avant la guerre. Aujourd'hui marié à Rosita et devenu père de trois enfants, il tâche de garder le lien avec ceux des membres de sa famille qui sont restés en Pologne, et particulièrement avec sa mère, dont il a initialement fui l'emprise. Mais bientôt, l'étau de l'histoire se resserre sur ses proches et le silence se fait. La poste n'achemine plus aucun courrier, et Vicente est réduit à suivre l'actualité européenne à distance à travers les entrefilets de la presse. Il ne peut alors que deviner le destin de sa mère, qu'il sait piégée dans le ghetto de Varsovie. Le « ghetto intérieur » relate le rétrécissement de l'existence de son personnage principal, bientôt incapable de vivre sa vie, absorbé par la culpabilité.
Vicente et Rosita étaient les grands-parents de l’auteur qui écrit aujourd’hui : « Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé un livre pour combattre le silence qui m’étouffe depuis que je suis né. » Réflexion sur l'identité juive en exil, mais surtout terrible récit d'une déchirure qui est à l'origine de toute l'œuvre de Santiago H. Amigorena, ce roman aborde la Shoah à travers son impact sur les descendants, les déracinés.

Rhapsodie des oubliés de Sofia Aouine, éditions de La Martiniere

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La Goutte d'or, aujourd'hui. Abad, treize ans, a fui le Liban avec ses parents. En pleine puberté, petit délinquant obligé de fréquenter le cabinet d'une psy, perspicace et insolent autant qu'il est attachant, il est surtout un observateur fasciné du quotidien de son quartier : « Ma rue raconte l'histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s'appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans. » Un environnement multiculturel, de grande pauvreté, de contrastes forts, entre Femen et djihadistes. Dans cette galerie de portraits où chacun en prend pour son grade, l'autrice se joue des clichés avec virtuosité. Abad et sa voisine Odette sont les Momo et Madame Rosa du XXIe siècle (La vie devant soi, Romain Gary). Sofia Aouine nous livre ce premier roman dans une langue explosive, argotique, crue, influencée par le roman noir, la littérature naturaliste, le hip-hop et la soul music.

Zébu boy d’Aurélie Champagne, éditions Monsieur Toussaint Louverture

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« Zébu Boy ! Zébu Boy ! Les gens hurlaient mon nom. J’étais le plus grand, j’étais l’invaincu. »
Madagascar, mars 1947. La colère gronde sur l'île contre le pouvoir colonial. Parmi les insurgés se trouve Ambila. Surnommé Zébu boy, il est parti combattre pour la France, a survécu aux batailles de la Somme et de la Meuse et en est revenu détruit, abandonné par les forces françaises. Prêt à tout pour obtenir le respect de son père, il se lance dans le combat.
« Les soldats retrouvaient la terre des ancêtres plus Malgaches que jamais, croyant avoir abandonné au front l'indigénat auquel les colons les reléguaient avant-guerre. Et voilà qu'après avoir été des frères d'armes, les Vazahas redevenaient ces détestables petits pères condescendants. Voilà qu'ils les traitaient à nouveau comme de grands enfants naïfs. »
Dans ce premier roman, Aurélie Champagne fait œuvre de mémoire autour d'une lutte d'indépendance, aujourd'hui encore méconnue, et d'un massacre colonial français. Issu de la quête identitaire de son autrice, partie à l'âge de vingt ans sur les traces de son père malgache, ce récit initiatique, aux multiples entrées, traduit le chaos dans lequel un protagoniste hanté par ses fantômes se trouve au retour d'une guerre qui n'est pas la sienne, dans les rangs de l'armée française en 1940.

Rue des pâquerettes de Mehdi Charef, éditions Hors d’Atteinte

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« On sera du bétail comme nos pères, mais avec un cartable sur le dos. »
1962, Nanterre, bidonville de la rue des pâquerettes. Le petit Mehdi, ses frères, ses sœurs et sa maman arrivent tout droit de la région de Tlemcen pour retrouver le père de famille, travailleur en France depuis plusieurs années et installé dans un baraquement de fortune, au sein d'un environnement quasi uniformément algérien. Du haut de ses dix ans, Mehdi observe et commente ce qui l'entoure avec acuité, intelligence, parfois même avec humour.
Auteur du premier roman écrit par un écrivain d’origine algérienne (Le thé au harem d'Archi Ahmed), Mehdi Charef n'avait encore jamais abordé de front son arrivée en France. Selon les mots des éditrices : « il décrit le froid, la boue, l'humiliation du bidonville et le racisme ordinaire d'une France ou les ratonnades étaient banales, mais aussi l'instituteur qui leur apprend à aimer la vie autant que Victor Hugo ou la douceur d'une voisine. Comme un retour aux premiers mots d'une histoire qui a ensuite déraillé, Rue des Pâquerettes revient sur les raisons profondes pour lesquelles la France vit, aujourd'hui encore, l'immigration comme un problème. » Comme il le confie, ce livre est aussi un hommage ému à sa mère.

Mur Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert, éditions Sabine Wespieser

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Sabratha, en Libye, juillet 2014. Semhar l'Erythréenne et Chochana, juive du Nigeria, sont emmenées d'un entrepôt vers un navire qui doit naviguer vers l'Europe. Là-bas, elles se retrouvent avec Dima, une musulmane bourgeoise d'Alep, qui voyage sur le pont. Parmi les clandestins, elles résistent aux intempéries.
« De l'intérieur de la cale, on entendait les rugissements conjugués des vents et de la Méditerranée. Le chalutier exécutait sa chorégraphie de bateau ivre et fou, fait de plaquages impressionnants à bâbord et à tribord, de précipités abyssaux et de montées golgothéennes. »
Ce roman-odyssée est inspiré d'un sauvetage au cours duquel le pétrolier danois Torm Lotte avait aidé les autorités maltaises et italiennes à secourir jusqu’à 300 réfugiés. Cette fresque humaniste et profondément féministe illustre dans les moindres détails la trajectoire chaotique de trois femmes fières et puissantes malgré leur dénuement, rendant ainsi hommage à ces parcours héroïques mais ignorés, faits d'errance, d'épreuves et de toutes formes de violences.

Les métèques de Denis Lachaud, Actes Sud

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Marseille, dans un futur proche. Une famille reçoit une convocation de la Préfecture des Bouches-du-Rhône.
« La lettre (...) ne fournit aucune explication. J’achève le découpage de mes lasagnes en silence, jugeant inutile de formuler toutes les pensées qui se bousculent dans mon esprit aux abois. D’ailleurs, personne ne se risque à prononcer la moindre phrase. Inutile de se torturer les uns les autres à propos de cette convocation, nous n’en saurons pas plus tant que nous ne serons pas entrés dans le bureau de l’employé préfectoral, le 18 octobre prochain, à quatorze heures. (...) Ma mère secoue la tête, pressentant qu’un nouveau stade du délire politique a été atteint, un nouveau seuil dans l’escalade. »
Célestin, fils aîné d'une fratrie dont il ignorait lui-même l'histoire cachée, est le narrateur de ce roman noir qui engloutit ses protagonistes dans un cauchemar terriblement plausible. Une enquête est menée sur les origines de sa famille dont les patronymes aux accents métèques ont été modifiés des années auparavant, dans une volonté d'assimilation. Les deux lignées, l'une juive, l'autre maghrébine, avaient été invisibilisées. Très vite, dans un climat autoritaire, une atmosphère de racisme assumé et meurtrier, c'est l'escalade dans l'horreur, et seul Célestin en réchappera. Ce récit d'anticipation le suivra dans sa cavale désespérée, faisant écho à celle de ses grands-parents pendant l'Occupation. En mettant au jour une histoire enfouie, dévoilant l'altérité qui peut se cacher sous nos identités - et qui peut se révéler dangereuse -, ce texte interroge notre société et ses dérives potentielles.

Un soleil en exil de Jean-François Samlong, Gallimard

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« On ne nous aimait pas, enfermés dans un milieu clos, sans marques d'affection ni la possibilité de fixer des repères. Nous étions dans le même guêpier, égarés dans un tunnel ou une voie sans issue, et à mesure que nous avancions, la neige effaçait les empreintes de nos bottes pour prouver que nous n'existions pas. » Dans chacun de ses romans, Jean-François Samlong ne cesse d'interroger la violence qui secoue La Réunion. Cette fois-ci, dans un style percutant et concis, il nous convie à découvrir l'histoire des enfants de la Creuse. En fait, une véritable tragédie s'est déroulée entre 1962 et 1984, avec l'exil forcé en métropole de plus de deux mille mineurs réunionnais. Mensonges. Fausses promesses. Trahisons. Harcèlement sexuel. Viols. Tentatives de suicide, et suicides. Séjours en hôpital psychiatrique. Une catastrophe invisible. Enfin, le 18 février 2014, l'Assemblée nationale a reconnu la responsabilité morale de l'État français dans la terrifiante transplantation des enfants. Ici, deux jeunes garçons, Tony et Manuel, et leur sœur courage, Héva, qui témoigne des vies séparées, suspendues, piégées au cœur du froid et du racisme. (Résumé éditeur).

Tous tes enfants dispersés de Beata Umubyeyi-Mairesse, Autrement

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1997, Butare, sud du Rwanda. Ce sont les « retrouvailles de cœurs en lambeaux » d'une « famille à repriser » : Blanche et sa mère, Immaculata.
En 1994, Blanche, 15 ans, a été confiée à des expatriés évacués par l'armée belge, puis a vécu à Bordeaux. Son père, un ingénieur français, avait quitté précipitamment le pays. Son demi-frère, Bosco, resté au Rwanda, est le fils d'un démocrate hutu, emprisonné puis assassiné alors qu'Immaculata était enceinte. Rentré du front, il est mutique. Entre eux, l'horreur inexprimable des massacres.
Ce roman polyphonique aborde des thématiques plurielles qui s'entrecroisent : l'identité, le racisme, les liens familiaux, les héritages psychologique, culturel, intime, la culpabilité de l'exilée...