Les migrations

Quelle place pour les migrations internationales demain ?

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Enrique Ramirez, Sail N12, Incertain vent, 2020
Enchâssée dans trente-huit cadres, la voile Sail N12, Incertain vent présente les couleurs passées d’un objet qui a navigué. L’artiste convoque les significations plurielles de l’objet, à la fois drapeau, repère, source d’informations sur les rumeurs et les malaises du monde. Mais la voile se fait avant tout métonymie du migrant et de ses périples. C’est une « représentation du déplacement, de ces déplacements échoués », déclare Enrique Ramirez. La voile est couchée … comme un bateau échoué, flottant sur la mer, abandonné aux vents incertains. Un bateau qui a beaucoup voyagé.
Enrique Ramirez, Sail N12, Incertain vent, 2020, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2020.44.1 © EPPPD-MNHI, Enrique Ramirez. Courtesy de l'artiste et Michel Rein, Paris/Brussels, Adagp, Paris, 2021

Les formes de migration

La possibilité, ou non, de pouvoir franchir les frontières détermine le type de migration. Après la chute du mur de Berlin, l’essentiel des migrations Est/Ouest a été une migration pendulaire, entendre des migrations de courte durée, permettant des allers et retours entre pays d’origine et pays d’immigration. Elles concernent aujourd’hui aussi les migrants « privilégiés » du sud méditerranéen, de ceux qui bénéficient d’un statut particulier (double nationalité, visas à entrées multiples, commerçants, entrepreneurs, intellectuels). En revanche, les politiques de visas restrictives tendent à provoquer l’installation durable des migrants qui redoutent de ne plus pouvoir revenir et font venir leur famille. Ainsi, paradoxalement, les politiques de fermetures conduisent à l’installation des migrants, quant une politique de frontière relativement ouverte permettrait d’éviter, à tout le moins de réduire, des installations durables.

 

Problème ou solution ?

En raison des nombreux déséquilibres mondiaux, la mondialisation des migrations devrait se poursuivre. Et les causes sont nombreuses : nouvelles menaces géopolitiques autour de l’eau ou des matières premières ; conséquences dramatiques des interventions occidentales extérieures passées (Afghanistan, Irak ou Libye) et peut-être à venir ; où celles à l’est de l’Europe d’un Vladimir Poutine ; retombées des actions et violences djihadistes, en Afrique notamment ; évolutions démographiques à l’échelle de continents (jeunesse africaine, vieillissement européen) ; conséquences des crises environnementales et des dérèglements climatiques…  

Dans la mondialisation en cours et à venir, l'immigration tiendra une place importante. Est-il dès lors envisageable d’en rester aux idées préconçues, aux préjugés négatifs et d’ignorer les multiples aspects que recouvrent les migrations internationales qui, en 2030,  concernera le quotidien, le devenir – et la mobilité - de plus de 8 milliards de terriens et quelques 10 milliards en 2050 ? Peut-on en faire une solution plutôt qu’un problème ? Peut-on concevoir, comme le suggère le romancier Mohamed Mbougar Sarr dans Le silence du chœur (éd. Présence Africaine), une communauté de destin, un monde en partage entre migrants-nomades et populations sédentaires ?

Les migrations internationales occupent et occuperont une place centrale dans le devenir de l’humanité. Aider à en prendre conscience - par la pédagogie et l’information - constituera un premier pas. Car il faudra aller plus loin, avancer jusqu’à élaborer de nouvelles approches, jusqu’à bouleverser les vieux paradigmes, jusqu’à changer les regards pour substituer à la logique des murs, de la suspicion et de la peur et, finalement, de la souffrance et de la mort, des politiques capables de mobiliser la positivité, les avantages et l’énergie des migrations internationales. Les enjeux sont multiples : préserver les migrants eux-mêmes, rassurer et informer les populations des pays d’accueil, s’employer au bien-être des uns et des autres, sans oublier les enjeux socio-économiques pour les pays de départ et d’arrivée, repenser par exemple le lien entre émigration et développement – toute chose égale… à commencer par « la mauvaise gouvernance » en Afrique et ailleurs.

Cela passe-t-il justement par une remise en question de l’ordre du monde qui s’arc-boute sur la souveraineté des Etats en matière de contrôle de l’immigration ? En 2008, Catherine Wihtol de Wenden reposait la question de la construction d’une gouvernance mondiale des migrations. Avec Bertrand Badie, Rony Brauman, Emmanuel Decaux, Guillaume Devin, elle invitait à poser « un autre regard sur les migrations » (La Découverte, 2008). Et ce dans un monde devenu un village planétaire, nécessairement solidaire et interdépendant où les mobilités, aussi infimes soient-elles en pourcentage, participent de l’irrigation du monde.

 

Mustapha Harzoune, 2022