Les mots

Qu’est-ce qu’un "sans-papiers" ?

Le terme "sans-papiers" désigne toute personne étrangère vivant en France sans titre de séjour. Il s'apparente à celui de "clandestin", apparu dans le vocabulaire politique et administratif à la fin duXIXe siècle, avec les premières mesures définissant strictement les conditions du « droit au séjour » des étrangers.

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Ghazel, Urgent, 1997-2007 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
Ghazel, Urgent, 1997-2007 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration

"Sans-papiers" se distingue cependant de "clandestin" en ce qu'il n'est pas une catégorie administrative, mais davantage un terme forgé par les premiers concernés pour dénoncer leur situation. Ainsi, l'usage du terme "sans-papiers" se généralise à partir des années 1970, en particulier lors de la mobilisation contre les circulaires Marcellin-Fontanet (1972-1973) qui lient contrat de travail et titre de séjour.

Quelques 40 ans plus tard, malgré les mobilisations des intéressés et les mouvements de solidarité, malgré les opérations de régularisations massives (130 000 étrangers régularisés en 1981-1982, 76 500 en 1997-1998) ou dites « au fil de l’eau », la question demeure. S'il est difficile de quantifier avec exactitude le phénomène, les estimations portent à 300 000 ou 400 000 le nombre de personnes qui seraient en situation irrégulière en France en 2021 (source : Pew Research Center,  repris par la Cimade).

Vivre et travailler la peur au ventre

Et ce n’est pas faute de mobilisations, de luttes pour mettre fin à des situations proprement ubuesques : depuis la grève des sans-papiers de l’église Saint Bernard en 1996 en passant par la grève des femmes de ménage de l’hôtel Ibis des Batignolles à Paris en 2019, jusqu’à la grève de quelques 300 travailleurs sans papiers franciliens démarré en octobre 2021. A chaque fois, l’enjeu de ces mobilisations et grèves de travailleurs sans papiers est double : obtenir une régularisation et sortir de l’ombre. «  Dans ma tête, je ne suis pas tranquille, parce que je sais que je peux me faire contrôler par la police durant le trajet. Dès que je sors du métro, je me dis “Dieu merci, je suis bien arrivé”. Mais le soir, pour rentrer chez moi, ça recommence. C’est la même angoisse tous les jours » explique Baradji Makan, et cela fait près de trois ans, jour après jour, que cela dure. Pourtant, Baradji Makan travaille dans les cuisines de la luxueuse brasserie Marly, sous les arcades du musée du Louvre (L'Humanité, 5 novembre 2021).

Les « sans-papiers » sont éboueurs, livreurs, manutentionnaires, ouvriers du bâtiment, femmes de ménage…, ils travaillent, sans être « vus ni reconnus », dans la confection, la construction, la restauration, le nettoyage, le travail domestique, l’agriculture, la sécurité (lire Gauz, Debout payé, Le Nouvel Attila, 2014) ou dans des salons de beauté (lire Sylvain Pattieu, Beauté-Parade, Plein Jour Edition, 2015). Au quotidien, les difficultés et les obstacles sont multiples : accès au logement, accès aux soins, aucun droit au travail d’où le travail au noir et la surexploitation (pénibilité, horaires, salaires inférieurs voir non payés, etc.).

« Les sans-papiers n’apparaissent plus comme des bêtes à part uniquement traquées comme telles : ce sont aussi des mal-logés, des lycéen-nes, des parents d’élèves, des chômeurs, des travailleurs et des travailleuses précaires. A ce titre, ils participent aux mouvements sociaux français, s’inscrivent dans les syndicats, les associations. Juste retour des choses, ces derniers intègrent dans leurs préoccupations, la dimension administrative spécifique de la situation des sans-papiers » écrit Mogniss H Abdallah de l’Agence Im média (voir l'article sur le site causetoujours.be).  Et de ce côté, la solidarité mobilise aussi bien des structures comme RESF, la Cimade ou le MRAP  que des personnalités et des milieux professionnelles (à l’instar des cinéastes ou écrivains). En 2020 et 2021 la Cimade a lancé une campagne pour la régularisation de toutes les personnes sans-papiers présentes en France.

Sortir de l’ombre

L’autre enjeu des mobilisations est de sortir de l’ombre, sortir d’une clandestinité contrainte, sortir de l’« illégalité » imposée, comme le dit Maria, une latino-américaine, « le mot « illégale » est une plaie qui nous colle au corps. C’est nous mettre au rang de criminels. . . C’est une dégradation humaine » rapporte Mogniss H Abdallah.

Pour cela il faut déconstruire les stéréotypes et les fantasmes, montrer qui sont les sans-papiers et « Comment La France fabrique des personnes sans-papiers », comme l’expose la Cimade à travers dix parcours types (voir les parcours sur le site de la Cimade) montrant les différentes étapes qui conduisent des personnes étrangères à se retrouver ou à rester sans papiers… du fait des lenteurs de l’administration française, de la dématérialisation des démarches ou du durcissement dans le traitement des dossiers et/ou de la loi… Déconstruire les stéréotype c’est aussi déchirer l’image qui représente le sans-papier comme ce jeune homme qui arrive en barque, et entre en France de façon illégale. Comme le souligne François Héran, « il n’y a pas de coupure tranchée entre légaux et illégaux ». Partant, si l’étranger en situation régulière peut se retrouver sans papiers, a contrario, « partout il y a l’idée qu’à force de temps, de présence, d’attaches créées, on consolide son droit au séjour » (voir l'article en ligne).

 

Mustapha Harzoune, 2022