Mauricio

Mauricio est né en 1969 à Santiago. Sans père, son frère et lui vivent avec leur mère dans une des pièces de la grande maison familiale. Il y avait 21 pièces avec le jardin au milieu, mais la plupart n’étaient pas habitées. "On était dans la chambre face au poulailler et on allait chercher les œufs tous les matins." De Salvador Allende, il se souvient d’abord du verre de lait distribué chaque jour à l’école.

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Portrait de Mauricio
© Association Regarde ! - Dobrivoje Arsenijevic, Irène Jonas, Jean-François Noël

Le jour du coup d’État, sa mère est partie très tôt le matin. "Dans ma mémoire c’était une journée grise et froide. J’ai un souvenir précis du 11 septembre parce que cette date est restée marquée par l’angoisse et l’attente du retour de ma mère. Je me souviens des avions que l’on voyait passer alors que nous étions montés sur le toit avec mon grand-père. Je me souviens de mes grands parents qui collaient leur oreille à la radio et des larmes de ma grand-mère. Je me souviens avoir imaginé en voyant mon chat le nez en sang qu’il était un révolutionnaire qui avait reçu une balle. Je me souviens de l’odeur de la poudre, du bruit des coups de feu et de ma mère qui n’arrivait toujours pas."

Pour Mauricio, l’année entre le coup d’État et le départ de sa mère en novembre 1974 reste un trou noir. Lorsqu’on lui annonce que sa mère doit partir, il le perçoit comme une évidence et ne se pose pas de questions. "Je n’avais pas besoin d’explications. Je n’ai qu’un souvenir, cette annonce la veille de son départ : « elle part demain ». Je sais que je n’ai pas pleuré ce jour-là, mais que j’étais en larmes devant l’avion. Dans ma mémoire c’est contradictoire, elle partait cachée mais on l’a accompagnée en voiture à l’aéroport. Je me souviens du trajet. Je me souviens du moment où elle est montée dans l’avion. Mon oncle a pris quelques photos, je me souviens même avoir «déconné» et lui avoir fait des grimaces."

Même s’il reste avec ses grands-parents et une de ses tantes, le retour à la maison se résume en un mot : le vide. Il s’installe dans une autre chambre. "Au-dessus de mon lit, il y avait une fenêtre avec des barreaux. Tous les soirs on fermait les volets. Et au moment du couvre-feu, on entendait des gens courir, taper aux fenêtres et aux portes et on savait qu’on ne pouvait pas ouvrir. On vivait dans une espèce d’angoisse. Les militaires passent à plusieurs reprises interroger ses grands-parents. Une fois ils ont assis mes grands-parents sur des chaises. Ils nous ont mis en face et ils se tenaient derrière nous. Je sens encore la main d’un militaire sur mon épaule. Je n’ose pas imaginer ce que mes grands-parents ont pu ressentir. Les questions étaient simples : Où est-elle, pourquoi ? Avec qui elle est partie, qui l’a fait partir ?"

En 1979, nouveau déchirement lorsqu’on lui annonce que la semaine suivante lui et son frère partent en France. "J’étais partagé entre laisser ma grand-mère que j’appelais maman, mon grand-père que j’appelais papa, perdre les quelques amis qu’on avait et retrouver une mère qu’on n’avait pas vue pendant cinq ans. Lorsque ma grand-mère m’a dit que je grandirai désormais avec ma mère et le monsieur qu’elle avait rencontré, j’ai compris qu’elle me disait adieu. Elle est morte deux ans après sans que je la revoie." Pour Mauricio, la dictature l’a privé d’une sorte d’innocence enfantine et d’une vie qui va de soi quand on est gamin. "La dictature m’a d’abord enlevé ma mère. Et cinq ans après, mes grands-parents et la terre du Chili."

Il arrive à Paris au mois de mai après 27 heures d’avion, sept escales avec interdiction de sortir de l’avion et une pancarte orange autour du cou. "Cinq ans c’était long. Ce n’est pas ma mère que je reconnais mais sa voix, immédiatement. Je ne peux même pas décrire ce moment, on tombe dans ses bras. Derrière elle il y a ce monsieur que j’allais désormais appeler « papa » avec fierté, comme ma mamie le souhaitait. En 10 minutes çà a été comme si on ne s’était jamais quittés." Pour Mauricio, le pire dans l’exil quand on est enfant est cette sensation de subir. "Moi j’ai eu l’impression de subir des choses tout le temps. Je n’ai rien choisi alors que mes parents ont fait des choix dans leur vie, même s’ils ont été obligés de fuir et se sont sentis amputés. La première fois de ma vie où j’ai choisi quelque chose, c’est le jour où j’ai voulu être un vrai Français et que j’ai décidé d’apprendre la langue."

Il subit encore pourtant des orientations scolaires qui ralentissent des études qu’il aurait pu faire d’emblée. "Il y a eu un énorme gâchis à ce moment-là. Il y avait des choses qui étaient accessibles et d’autres pas, ce n’était pas pour nous." Aujourd’hui, marié avec une Française, Mauricio est père d’une magnifique petite fille prénommée Margot en hommage à cette grand-mère Margarita qui a tant compté pour lui. Il travaille en tant que Directeur commercial dans une école de formation industrielle. Une autre revanche sur son parcours.

Quand Mauricio retourne au Chili en 1998, il a le sentiment qu’une gigantesque gomme a tout effacé. "Je retourne chez moi la maison n’existe plus, dans la rue les arbres avaient été coupés, et celui qui a passé cette gomme c’est Pinochet." Le hasard veut que son retour au Chili coïncide avec l’arrestation de Pinochet. "Dans la chambre d’hôtel, j’entends à la télé que Pinochet est arrêté à Londres. J’ai la sensation d’être dans un rêve. J’entends des cris dans la rue, je vois une foule avec des pancartes, je descends en courant, fou de joie, me disant que peut-être je vais rattraper quelque chose. Et quand j’arrive je réalise… que c’était une manifestation de soutien à Pinochet et me retrouve au milieu de gens qui criaient « libérez-le », ça m’a foudroyé."

Portrait issu de l’exposition Presentes ! réalisé par l’association "Regarde". Textes et photographies de Dobrivoje Arsenijevic, Irène Jonas, Jean-François Noël.

L'ensemble des portraits est également disponible dans un ouvrage intitulé Presentes ! (ISBN : 9 782322 488070), l'exposition elle sera visible à Massy et à Orly pendant le mois de septembre 2023.

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