3Des îles carrefours
Deuxième partie
Tout au long de l'histoire de la Méditerranée, beaucoup d’îles ont été des zones de contact entre les civilisations, malgré les rivalités et les guerres. Elles ont été des nœuds stratégiques de circulation pour le commerce et la navigation, mais aussi souvent la cible de razzias et de conquêtes par les puissances continentales.
Le paysage insulaire, de Lampedusa au golfe du Bosphore, est caractérisé par une forte hétérogénéité religieuse. Dans ces espaces éloignés, le contrôle des États et des institutions religieuses a souvent été moins strict que sur le continent, ce qui a pu faciliter le développement de formes d'échanges entre des religions différentes. Par conséquent, les manifestations de convergence et de partage interconfessionnels y ont été particulièrement intenses.
Loin d’être effacé des mémoires, ce riche passé façonne encore la complexité des réalités humaines insulaires, souvent marquées par l’entrelacement.
Convergences à Lampedusa
Lampedusa est aujourd’hui associée aux tragiques traversées de la Méditerranée par les migrants. Mais l’on ignore souvent que du XVIe au XVIIIe siècle, la Lampédouse était un lieu de trêve, d’approvisionnement et de refuge en cas de naufrage. Une grotte – visitée pendant des siècles par des marins chrétiens et musulmans – abritait un oratoire dédié à la Vierge et à un saint musulman. Cette coexistence a inspiré des philosophes des Lumières comme Jean-Jacques Rousseau et Denis Diderot, pour qui l’île représentait un idéal utopique.
Aujourd'hui, la mémoire de ce partage est en quelque sorte revitalisée par les habitants de l’île, notamment les marins et les pêcheurs qui ont maintenu le code de sauvetage des naufragés.
Djerba, creuset judéo-musulman
Malgré une émigration massive dans la seconde moitié du XXe siècle, il subsiste sur l’île de Djerba une communauté juive. Pour la fête annuelle du Lag Ba’omer, de nombreux juifs tunisiens ayant émigré en Europe et en Israël reviennent chaque année en pèlerinage. Le centre des célébrations est la célèbre synagogue de la Ghriba. Ce mot arabe signifie “mystérieuse”, “étrangère”, “solitaire”, une appellation qui désignerait une femme sainte inconnue, qui aurait péri dans un incendie à une époque indéfinie. Les habitants d’un village juif auraient ensuite construit une synagogue en sa mémoire.
L’indétermination confessionnelle de cette figure peut sans doute contribuer à expliquer la fréquentation de ce lieu saint par des juifs et des musulmans, qui continue encore de nos jours, en dépit de l’attentat meurtrier qui a frappé la synagogue en 2002.
Büyükada et le monastère des musulmans
La figure de Saint-Georges compte parmi celles qui occasionnent le plus de croisements entre chrétiens et musulmans en Méditerranée orientale. Un exemple majeur est celui du monastère grec orthodoxe de Saint-Georges, qui se dresse au sommet de l’île de Büyükada, la plus grande de l’archipel des Princes, au large d’Istanbul. Ce sanctuaire attire de nombreux pèlerins de plusieurs confessions.
Chaque année, la fête du saint, célébrée le 23 avril, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes, en large majorité musulmanes. Tous viennent adresser des vœux qui prennent des formes rituelles très variées : amulettes, messages, dessins, cierges, fils de coton à dérouler le long du chemin…
Nikos Stavroulakis, dernier rabbin de Crète
Au fil de son histoire, l’île de Crète a abrité une importante population juive (romaniote depuis le Moyen Âge, puis sépharade après l’émigration massive d’Espagne au XVIe siècle). À la fin du XIXe siècle, la plupart d’entre eux ont quitté l’île, hormis la communauté de la ville de La Canée. Mais en 1944, presque tous ont tragiquement disparu en mer lors de leur déportation par les nazis.
L’un des héritiers de cette communauté décimée, Nikos Stavroulakis (1932-2017), est revenu en Crète dans les années 1990 et a restauré l’une des deux synagogues historiques, y fondant un lieu de culte ouvert aux fidèles d’autres religions comme aux non-croyants.