Les mots

Qu'est-ce que l'antisémitisme ?

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Patrick Zachmann. Anti-Semitic inscriptions in the Jewish section of the Bagneux cemetery, Ile de France. April 1981 © Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration
Patrick Zachmann. Inscriptions antisémites dans le carré juif du cimetière de Bagneux, Ile de France. Avril 1981 © Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration

Une forme de discrimination qui s’est incarnée dans des doctrines politiques

L'antisémitisme vise les personnes qui appartiennent ou sont supposées appartenir à la communauté juive. Les cibles sont multiples : un nom de famille ou un prénom, des traditions ou des pratiques religieuses, des modes de vie, une apparence physique, un métier ou tout autre signe considéré comme spécifique. L'antisémitisme développe des préjugés et des interprétations diffamatoires, des attitudes haineuses et des agressions verbales ou physiques. L'antisémitisme est condamné par la loi dans tous les pays démocratiques.

L'antisémitisme a marqué plusieurs fois l'histoire des pays européens, comme en 1895, en France, lors de l'Affaire Dreyfus. Il peut devenir une doctrine politique et inspirer des lois comme les lois de Vichy sur le statut des juifs, en 1940. Il a été l'un des fondements du régime nazi et, à partir de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942), a conduit à programmer la « solution finale », qui a mené six millions de juifs à la déportation et à la Shoah. À la Libération, le Tribunal de Nüremberg a jugé l'ensemble des crimes nazis inspirés notamment par l'antisémitisme. 

Manifestations actuelles

En France, 1967 marque, pour beaucoup de juifs, un tournant. Alors qu’au Proche Orient éclate la Guerre des six jours, le Général De Gaulle qualifie  « les Juifs, un peuple sûr de lui-même et dominateur ». Ces mots tracent  « la ligne du temps désormais fracturée, coupée en deux » écrit la romancière Nathalie Azoulai dans Les Spectateurs (POL, 2018)‬.

Aujourd'hui, l'antisémitisme serait « de retour » selon l’historien Robert Hirsch, auteur de Sont-ils toujours des Juifs allemands ? La gauche radicale et les Juifs depuis 1968 (Arbre bleu éditions). Et de fait, l’antisémitisme s'exprime à travers des profanations de cimetières ou de synagogues, des refus de services, des injures ou des propos diffamatoires et insultants, que l'on peut trouver aussi bien dans des tracts, des inscriptions, des affiches, des bandes dessinées, des sites Internet qu'avec des objets véhiculant l’idéologie nazie.

Des réactions et des sentiments antisémites accompagnent parfois des événements internationaux, notamment le conflit israélo-palestinien, mais la critique de la politique des États ou la réaction à des événements extérieurs ne sauraient, en aucun cas, être confondues avec les manifestations de racisme et d'antisémitisme qui portent atteinte aux personnes.

L’antisémitisme continue d’être porté par des groupes ou des personnalités de l’extrême droite. Il peut aussi émaner de groupes ou de milieux islamistes, il se manifeste enfin de manière diffuse, entre croyances, vieille tradition antisémite héritée du XIXè siècle, complotisme d’un autre âge ou certaines complaisances pour le négationnisme, etc.

Un antisémitisme meurtrier

Après les attentats contre la synagogue de la rue Copernic à Paris en octobre 1980 puis de la rue des Rosier le 9 aout 1982,  après la profanation de tombes juives du cimetière de Carpentras en mai 1990, l’antisémitisme, dans les années 2000, a encore tué : mort d’Ilan Halimi (2006), crimes de Mohamed Merah dans une école juive à Toulouse (mars 2012),  morts de l’hypercasher de Vincennes (janvier 2015), meurtre de Sarah Halimi (2017), meurtre de Mireille Knoll (2018). Ce climat et ces meurtres ne sont pas seulement sources d’inquiétude, ils génèrent aussi de l’angoisse, au sein d’une communauté – et au-delà - qui voit revenir une haine qu’elle avait cru disparue. Faut-il craindre ce qu’écrit André Markowicz dans un de ses post FB : « l'antisémitisme ressurgit toujours pendant les peurs globales » ?

Mesurer l’antisémitisme : le nombre d’actes antisémite

Selon la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), en 2019, 687 faits à caractère antisémite ont été constatés contre 541 en 2018, soit une augmentation de 27 %.  Les faits antisémites se décomposent en 151 « actions » (catégorie qui regroupe les atteintes aux personnes et aux biens : dégradations, vols, violences physiques…) et 536 « menaces » (propos ou gestes menaçants, inscriptions, tracts, courriers…). La hausse des faits antisémites en 2019 s’explique exclusivement par l’augmentation des menaces, à hauteur de 50 % par rapport à 2018, les actions ayant quant à elles diminué de 15 %. Les faits les plus graves, les atteintes aux personnes, sont même en net recul, de 44 %. En 2020, année du confinement, 339 faits antisémites ont été recensés et en 2021, les 523 actes antisémites enregistrés représentent une baisse de 15 %, par rapport à 2019.

Dans son rapport annuel, le « Service de sécurité de la communauté juive » (SPCJ) relève ce qu’il qualifie de phénomène « nouveau et inquiétant » : un quart des incidents se sont produits à l'intérieur ou à proximité du domicile des victimes, généralement perpétrés par un voisin (dans "la sphère privée"). 1/3 des actes antisémites auraient été motivé par le conflit israélo-palestinien. Autre « motif » avancé, propre à la pandémie du Covid : les Juifs sont désignés comme les profiteurs, voire les instigateurs de la crise sanitaire. Enfin la parole antisémite se serait « libérée » sur Internet. 

Mesurer l’antisémitisme : deux autres indices

Le poids des imaginaires et des représentations, mesuré par les enquêtes et autres sondages, constitue un autre élément permettant d’apprécier, à défaut de mesurer, l’antisémitisme en France. Ainsi, en octobre 2017, l’institut Ipsos montre, entre autres, que 64 % des Français pensent que les Juifs disposent de lobbies très puissants, 52 % qu’ils ont beaucoup de pouvoir, 51 % qu’ils sont plus riches que la moyenne, 38 % qu’ils sont trop présents dans les médias, et 38 % pensent qu’« on parle trop de la mémoire de la Shoah ». 

Cette situation multiforme, entre actes violents, poids des mots et des images explique-t-elle cet autre phénomène que constituent les départs de France, pour Israël ou d’autres destinations. Ils sont ainsi passé de quelques 900 par an avant 2000 à 7800 au lendemain des attentats de 2015 pour s’établir à 5000 en 2016. 

 

Des stratégies d’invisibilité

En 2020, selon une étude Ifop pour Fondapol et l’American Jewish Committe publiée par Le Parisien, 34% des Français de confession ou de culture juive déclarent se sentir régulièrement menacé en raison de leur appartenance religieuse. Ils sont 43% chez les moins de 35 ans.

7 Français juifs sur 10 disent avoir été victimes d'un acte antisémite, 64% déclarent avoir subi une agression verbale (moqueries ou injures) et 23% une agression physique. 54% des personnes victimes d'une agression verbale l'ont été dans un établissement scolaire ou lors d'activités périscolaires et 46% dans le cadre de leur vie professionnelle.

Menaces réelles et sentiment de menace conduisent, aujourd’hui, nombre de juifs de France à adopter, pour se protéger, pour éviter d’être agressés, ce que l'étude nomme des « stratégies d'invisibilité » : éviter certaines rues ou quartier (43%), renoncer à afficher des symboles d'appartenance religieuse, comme la mezouza  (37%)  ou encore renoncer aux signes vestimentaires, telle la kippa (33%).

Mustapha Harzoune, 2022