28 juin – 23 août 1996 : les sans-papiers de Saint-Bernard
Hommes et Migrations, n°1202, octobre 1996, n°1203, novembre 1996
Les réformes de la politique d’immigration en France de 1993, qui vont dans le sens d’un durcissement des conditions d’entrée et d’un contrôle renforcé des étrangers, vont avoir une conséquence significative dans l’augmentation du nombre des étrangers "sans-papiers" dont les profils et les parcours sont très divers. Un mouvement social en faveur des droits des migrants rassemble des militants associatifs, des syndicats, des personnalités et des personnes qui veulent être solidaires avec les Sans-papiers. Pendant l’été 1996, des travailleurs en situation irrégulière et leurs familles occupent l’Église Saint-Bernard du XVIIIe arrondissement de Paris. Ils vont être délogés par les forces de l’ordre sans ménagement et sans que leur situation de "non droit" ne soit prise en compte. Ce mouvement va ouvrir la voie à des régularisations au coup par coup.
Au début des années 1990, le chômage touche plus de deux millions de français dont 20% de la population immigrée. Dans les médias et dans les esprits, l’immigré change de statut. De travailleur, il devient chômeur.
Depuis la promulgation des lois Pasqua en 1993, le statut social des travailleurs immigrés et particulièrement des sans-papiers se dégrade. Il devient de plus en plus difficile pour les nouveaux arrivants d’obtenir des papiers ou de les garder. Très peu obtiennent des cartes de séjour, beaucoup travaillent au noir. Au printemps 1996, ces sans-papiers "sans-droit" se réunissent en collectifs dans le but de faire connaître leur condition, qui est celle de milliers de travailleurs étrangers, afin d’obtenir la régularisation de leur situation.
Le 18 mars, trois cents Africains, majoritairement Maliens, occupent l’église Saint-Ambroise évacuée quelques jours plus tard. Cette première occupation lance l’impulsion : diverses associations et collectifs rejoignent "le mouvement des sans-papiers" qui atteint son apogée pendant l’été 1996.
Du 28 juin au 23 août, ils occupent l’église Saint-Bernard du XVIIIe arrondissement de Paris. Parmi eux, se trouve des familles et des jeunes dont certains entament une grève de la faim. Le 9 juillet 1996, le gouvernement promulgue une circulaire permettant la régularisation d’étrangers parents d’enfants français. Cette mesure est jugée trop réductrice par les occupants de l’église, évacuée le 23 août par les forces de l’ordre.
Hommes et Migrations, qui a déjà consacré un numéro entier aux lois Pasqua et à ses conséquences, ne dédie pas directement de dossier au mouvement des "Saint-Bernard". Pourtant, il soulève des questionnements sur les conditions de vie et de travail des immigrés en situation irrégulière. Entre l’évacuation de l’église Saint-Bernard et la fin de l’année 1996, alors que la plupart des occupants sont transportés au centre de rétention de Vincennes, la revue consacre deux dossiers aux travailleurs étrangers, et plus particulièrement au chômage des immigrés et aux conditions de vie dans les foyers.
Deux articles hors dossier présentent le mouvement et son impact sur l’opinion française et le sort des sans-papiers. Le n°1202 d’octobre 1996, interroge Stéphane Hessel sur le travail du collège de médiateurs constitué d’intellectuels, de juristes et de scientifiques qui, devant l’inaction du gouvernement, a pris l’initiative de dialoguer avec les sans-papiers dans le but de réfléchir à des solutions juridiques répondant à leur situation de non-droit.
"Tous ensemble avec les sans-papiers ?", article du n°1203 du mois de novembre, étudie la fracture entre les immigrés en situation régulière et les sans-papiers qui accapareraient l’espace médiatique, détournant l’attention du sort des jeunes dans les banlieues.
Ce mouvement ne s’éteint pas avec l’évacuation de l’église Saint-Bernard. Les "Saint-Bernard" deviennent des symboles de la lutte pour la régularisation et les droits des travailleurs étrangers en situation d’irrégularité. En 1997, le gouvernement de Lionel Jospin adopte la circulaire Chevènement qui permet la régularisation de 80 000 travailleurs sans-papiers. Pourtant, aucune mesure définitive n’est envisagée pour leurs régularisations, qui sont opérées au coup par coup selon la situation politique.
Clotilde Barral
A l’occasion du jubilé de la revue Hommes & Migrations, le Musée national de l’histoire de l’immigration présente les archives de la revue à travers 15 dates marquantes de cette histoire (accéder à la chronologie).