111983
Après l’élection de François Mitterrand en 1981 et le succès de la gauche aux élections législatives, le gouvernement régularise les sans-papiers (ils seront 135 000 à en bénéficier), accorde le droit d’association aux étrangers, suspend les expulsions et annule en partie les mesures répressives de la décennie précédente.
C’est une période d’effervescence, entre mobilisations contre les violences xénophobes et racistes et émergence d’une nouvelle culture politique, urbaine et artistique.
En 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme contribue à rendre davantage visibles dans l’espace public les descendants de l’immigration. Elle aura pour effet l’instauration de la carte de séjour, valable désormais dix ans. 1983 voit aussi, aux municipales, les premières victoires du Front national, parti politique dénonçant de manière virulente l’immigration.
Les problèmes des banlieues deviennent un véritable sujet de débat politique. Les familles des classes moyennes sont toujours plus nombreuses à quitter les « grands ensembles », qui deviendront le symbole des difficultés des politiques urbaines et d’intégration.
Quant à l’encadrement du droit de séjour et du droit d’asile des étrangers, il se durcit dès le début des années 1980. Certaines décisions auront des effets durables : la reprise des expulsions, l’usage de la rétention administrative, le filtrage plus sévère des entrées. Le fossé se creuse entre, d’un côté, les réguliers qui seraient « intégrables » et, de l’autre, les sans-papiers qui seraient « expulsables ». Progressivement, l’accès à l’asile se restreint tandis que le droit de la nationalité est l’objet d’une intense politisation.
Repères chronologiques
Première poussée électorale du Front national à des élections municipales.
Marche pour l’égalité et contre le racisme ; adoption de la carte de séjour de dix ans.
Visa obligatoire pour les visiteurs étrangers en France. Seuls quelques groupes nationaux dont les Suisses, les ressortissants de la CEE, les États-Uniens, en sont dispensés.
Lois Pasqua-Debré, qui durcissent les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, ainsi que l’accès des enfants d’immigrés à la nationalité.
Mobilisations des travailleurs et stigmatisation des musulmans
Aux années de « relance » succède une période de crise et d’austérité : c’est le « tournant de la rigueur » de 1983. Les industries sidérurgique et automobile licencient massivement. Les grèves se multiplient.
Au nom de la liberté de culte, des ouvriers musulmans portent des revendications religieuses. Les images d’ouvriers faisant la prière à l’usine sont médiatisées. Les déclarations de plusieurs ministres contribuent à focaliser le débat sur le « problème musulman ». En octobre 1989, trois collégiennes de Creil refusant d’enlever leur voile en classe sont exclues de l’établissement. Le Conseil d’État réaffirme la libre expression des croyances en milieu scolaire mais il interdit, au nom de la laïcité, le port de signes religieux considérés comme prosélytes.
Crimes et violences racistes contre la jeunesse
Des actes racistes, des violences commises par la police, et des discriminations suscitent de nouvelles mobilisations de descendants d’immigrés. Ces derniers gagnent en visibilité dans l’espace public. Les relations entre les habitants des quartiers populaires périphériques et les forces de l’ordre tournent parfois à l’affrontement, comme l’illustre, dès 1981, l’« été chaud des Minguettes » dans la banlieue lyonnaise. Se répand alors dans le débat public et les médias la théorie d’un « seuil de tolérance » qui aurait été dépassé.
L'appel à la marche du père Delorme
Prêtre à Saint-Fons, une paroisse jouxtant le quartier des Minguettes dans la banlieue lyonnaise, le père Christian Delorme se fait d’abord connaître pour son combat contre les expulsions des jeunes descendants d’immigrés. Membre de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués, association d’aide aux migrants), il entame, en 1981, une grève de la faim avec le pasteur Jean Costil et Hamid Boukhrouma, un Algérien né en France menacé d’expulsion. Avec Toumi Djaidja et Djamel Atallah, ils figurent parmi les principaux organisateurs de la Marche pour l’égalité et contre le racisme.
Zaâma d’banlieue
Fondé en 1979, le collectif Zaâma d’banlieue est composé essentiellement de jeunes femmes de nationalité ou d’origine algérienne. Ses leaders sont Djida, Tim, Nadia et Farida. Le collectif organise des meetings et des conférences de presse, tout en publiant des fanzines. Il dénonce les contrôles d’identité abusifs et les expulsions, les violences et humiliations policières, le laxisme des institutions judiciaires vis-à-vis des auteurs soupçonnés de crimes sur des descendants d’immigrés.
La Marche pour l’égalité : l’émergence des descendants d’immigrés dans l’espace public
Longtemps, l’image de l’immigration a été réduite aux travailleurs masculins. À la fin des années 1970, les femmes et descendants des immigrés font leur entrée dans l’espace médiatique. Le 3 décembre 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, partie de Marseille un mois et demi plus tôt, rejoint la place de la Bastille à Paris, suivie par un cortège de plus de 100 000 personnes. La liesse collective fait naître l’espoir de lendemains fraternels. Soutenue in fine par la quasi-totalité du champ syndical, religieux, associatif et médiatique et des partis de gauche, la Marche constitue un moment politique majeur pour les descendants de l’immigration. L’appellation « Marche des Beurs » (« Arabes » en verlan) ne suffit toutefois pas à rendre compte de la grande variété des parcours migratoires et des histoires familiales des marcheurs et marcheuses.
Après la marche
Une carte unique de séjour de dix ans renouvelable est instaurée, mais le gouvernement ne répond pas à toutes les revendications des marcheurs : égalité de traitement devant la justice et la police ; droit au logement, au travail et à l’éducation. D’autres marches vont suivre. En 1984, la création de SOS Racisme divise, en raison notamment de sa proximité avec le Parti socialiste. Cette période peut être considérée comme un rendez-vous manqué entre cette nouvelle génération militante et la classe politique française, malgré quelques réussites notables.
Les collectifs
L’association Vitécri naît en 1982 dans le quartier populaire des Izards du nord de Toulouse. Elle cherche à favoriser l’expression des jeunes du quartier par le biais de réalisations audiovisuelles. C’est dans ce cadre que naît le groupe de musique Zebda. Les membres de Vitécri organisent, de 1991 à 1994, le festival « Ça bouge au Nord ». En 1997, ils participent, pour certains, à la création de Tactikollectif, à l’origine d’un mouvement politique et d’un tube, Motivés. En 2004 est créé à Toulouse le festival « Origines contrôlées ».
Front national
Fondé en 1972 et présidé par Jean-Marie Le Pen, le Front national (FN) fédère différents courants d’extrême droite, des nostalgiques de l’Algérie française aux tenants du négationnisme de la Shoah. Ouvertement xénophobe, ce parti longtemps groupusculaire ne masque pas son idéologie raciste et antisémite.
Il remporte ses premiers succès aux élections municipales de 1983 et constitue un groupe parlementaire (35 députés) après les législatives de 1986. Le retour au scrutin majoritaire (1988) lui bloque durablement l’accès au Parlement.
Le FN réussit cependant à constituer l’immigration en « problème public » et voit progressivement ses attaques contre les étrangers, notamment musulmans, considérées comme de vraies questions par des partis de gouvernement. Dans les années 1990, son ascension électorale se poursuit et Jean-Marie Le Pen atteint le second tour des présidentielles en 2002. Il quitte la présidence du FN en 2011. Sa fille, Marine Le Pen, prend la direction du parti, renommé Rassemblement national (RN) en 2018.
Dimension culturelle des mobilisations
Signe d’une véritable mobilisation culturelle et politique, journaux, fanzines, troupes de théâtre, groupes de rock, associations, médias se multiplient. En 1981 les radios libres sont autorisées. Parmi elles, certaines sont animées par des immigrés et leurs descendants : radio Soleil, radio Gazelle à Marseille, radio Beur… De 1977 à 1987, l’émission Mosaïques, financée par le secrétariat d’État à l’immigration, propose chaque dimanche sur la chaîne de télévision publique FR3 un panorama des cultures immigrées. En 1984, l’émission HIP-H0P, animée par Sidney Duteil, diffusée chaque dimanche après-midi sur TF1, marque une partie de la jeunesse et favorise l’émergence du mouvement rap. Joey Starr, MC Solaar ou Stomy Bugsy assistent alors régulièrement à l’émission.