Faut-il supprimer l'AME ?
L’AME (aide médicale d'État - voir la définition) est régulièrement remise en cause par une partie de la classe politique dénonçant la gratuité de l’accès aux soins, sa trop grande « générosité », des fraudes et des abus, des dépenses trop élevées… de sorte que, depuis sa création, l’objectif est d’en restreindre l’accès, en limitant le panier de soins, en instaurant une participation ou en limitant le nombre de bénéficiaires putatifs. Ainsi, en 2019 est instauré un délai de carence de trois mois avant d’accéder à une assurance maladie.
Qu'est-ce que l'aide médicale de l'État ?
L'aide médicale de l'État (AME) est un dispositif mis en place en 2000 par le gouvernement Jospin permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins sans contribution préalable.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi relative à l’immigration, en novembre 2023, la droite sénatoriale a fait adopter un article supprimant l’AME, accusée de constituer « un appel d’air migratoire », pour la remplacer par une aide médicale d’urgence (AMU). Le nouveau dispositif - non retenu par la Commission des lois de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi - poserait l’obligation pour les bénéficiaires de s’acquitter d’un droit annuel et viserait à réduire le « panier de soins » aux urgences, aux maladies graves et aux douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse, aux vaccins réglementaires et aux examens de médecine préventive. L’économie estimée s’élèverait à 350 millions d’euros. Ce dispositif n’a pas été retenu dans la loi promulgée le 26 janvier 2024 mais la Première ministre Elisabeth Borne s’était engagée lors de l’adoption à ouvrir la voie à d’éventuelles modifications réglementaires (lettre du 18 décembre 2023 à Gérard Larcher).
Suppression de l’AME : une fausse bonne idée ?
Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) de 2019, réduire le panier de soins couverts par l’AME « pourrait s’avérer problématique sur le plan sanitaire et conduire in fine à des reports sur les soins hospitaliers, plus onéreux » (accéder au rapport). Autrement dit, les économies du jour seront les dépenses de demain et ce, avec des risques sanitaires accrus pour les patients et pour la collectivité : « Il est préférable de prendre en charge une maladie bénigne, avant qu’elle ne se transforme en pathologie grave, ou avant qu’elle ne se propage » déclarait la ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo lors de l’examen du texte au Sénat.
Une tribune, signée par 3 000 soignants (Le Monde, 2 novembre 2023), rappelait qu’en Espagne « la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière votée en 2012 a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses ainsi qu’une surmortalité. Cette réforme a finalement été abrogée en 2018 ». Autre argument avancé par ces professionnels de la santé : l’augmentation des coûts pour la collectivité générée par des « hospitalisations plus complexes et prolongées » et une hausse des consultations dans les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et les Services d’Accueil et d’Urgences (SAU) par les étrangers en situation irrégulière et ce dans un contexte de crise de l’hôpital public. Remettre en cause l’AME ferait « courir un risque majeur de désorganisation du système de santé, d’aggravation des conditions de travail des soignants et de surcoûts financiers importants ».
Appel d’air ?
Pour une partie de la droite et de l’extrême droite, l’AME contribuerait à la non maîtrise des flux migratoires : elle serait le signe d’un « laxisme » adressé à la « communauté mondiale des migrants ». Pourtant, selon une enquête de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de l’université de Bordeaux, réalisée en 2019, seules 51 % des personnes éligibles à l’AME en bénéficieraient, suggérant que « la plupart des migrants ont peu connaissance de l’AME et n’ont pas tous la capacité à se saisir d’un dispositif complexe » (accéder à l'enquête).
Le taux de non-recours pourrait être plus élevé encore. Un rapport de Médecins du monde, publié en octobre 2023 montre que 86,5 % des patients éligibles à l’AME reçus dans les centres de l’ONG en 2022 n’étaient pas couverts par le dispositif (accéder au rapport).
Il semble que ce ne sont ni l’état de santé, ni la venue en France qui conditionnent le recours à l’AME mais la durée du séjour ; pour autant, après cinq ans de présence, 34,6 % des étranger en situation irrégulière restent non couverts.
Enfin, selon l’Irdes, la suppression de l’AME aurait peu d’effet sur les flux migratoires.
Comparaison internationale
En 2019 le rapport IGF-IGAS présentait l’AME comme l’un des dispositifs parmi les plus généreux d’Europe. Pourtant, en matière de comparaisons internationales, le rapport présenté par Mme Véronique Louwagie (mai 2023) montre que l’Espagne ou le Portugal permettent un accès universel au système de santé y compris aux étrangers en situation irrégulière. Le rapport Evin-Stefanini (décembre 2023) constate lui qu’il est difficile « d’établir une sorte de hiérarchie entre les pays », d’autant que la France est le seul pays d’Europe capable de fournir des données relativement exactes sur l’aide publique aux soins aux étrangers en situation irrégulière.
Selon ce rapport et avec toutes les difficultés méthodologiques pour fixer un cadre de comparaison pertinent, « le système français est, en partie en raison de son caractère centralisé, le plus cadré et le plus transparent de tous » et offre quelques singularités. Le panier de soins couvert par l’AME ne comporte que quatre restrictions (à la différence de l’Allemagne ou du Danemark). En France, le mécanisme d’autorisation préalable est limité (ce qui n’est pas le cas en Allemagne) et, nonobstant une condition de ressources, aucune participation financière n’est exigée (à la différence de la Belgique, du Danemark, du Royaume-Uni ou de la Suisse).
Autre spécificité française, dans le cadre de l’AME, la question de la possibilité de soigner l’étranger dans son pays d’origine n’est jamais posée (a contrario du Danemark).
Pour enrayer l’augmentation des bénéficiaires et des coûts, le rapport Evin-Stefanini avance plusieurs propositions qui visent à mieux contrôler les bénéficiaires, prévenir les parcours de soins, resserrer les dépenses sans remettre en question l’AME.
Mustapha Harzoune, décembre 2023
Sources :
- AME : diagnostic et propositions, Rapport IGAS-IGF, octobre 2019
- Évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, Rapport présenté par Mme Véronique Louwagie le 17 mai 2023, Assemblée nationale
- Rapport sur l’Aide médical de l’État, Claude Evin, Patrick Stefanini, décembre 2023
- Rapport 2023 de l’Observatoire européen de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde (accéder au rapport)
- "Appel de 3000 soignants pour le maintien de l'Aide Médicale d'Etat", Le Monde, jeudi 2 novembre 2023 (accéder au texte de l'appel)
- Étudier l'accès à l'Aide médicale de l'État des personnes sans titre de séjour. L'enquête Premiers pas. Dourgnon P. (Irdes), Guillaume S. (Irdes), Jusot F. (Université Paris Dauphine, PSL, Leda-Legos, Irdes), Wittwer J. [Université de Bordeaux, Bordeaux Population Health (Inserm U 1219), Équipe Emos], Questions d'économie de la santé n° 244 - Novembre 2019 (accéder à l'enquête)