2Appels d'urgence
Dans l’imaginaire collectif, il ne peut y avoir d’hospitalité sans l’épreuve de la mer, sans la preuve que le liquide qui sépare deux rives peut ramener des vies à la vie, les débarquer sur une terre plutôt que les exténuer dans le néant de l’eau. L’hospitalité naît d’un appel qui est d’abord une action : tout faire pour quitter son chez-soi, revenir à la vie en se jetant à l’eau sur un bateau de fortune, en espérant qu’il tienne le choc.
Nous nous représentons l’hospitalité comme l’ouverture d’une porte pour laisser entrer un inconnu. Nous avons tort. L’hospitalité renvoie à la fragile trajectoire d’un cargo, navire ou barque qui fraie un chemin jusque dans les eaux territoriales d’une nation tiers. L’hospitalité est liquide, une âme s’écoule vers une autre âme, un corps prend un corps presque disparu entre ses bras et s’emploie à lui restituer une force vitale indispensable. L’hospitalité est alors un petit dispositif précaire. Elle naît de l’appel du large, engendré par l’urgence d’une détresse.
Nos démocraties peuvent-elles encore entendre les appels sans les éloigner au-delà de nos murs ? Sommes-nous à la hauteur de la main qu’un étranger nous tend ? Nous sommes inégaux devant les mers. Pour les uns, ce sont des bains de jouvence, pour les autres, des cimetières potentiels. Pour les uns, ce sont des zones de confort, pour les autres, des frontières sans porte ni fenêtre. C’est ainsi que les uns ont cessé d’être les autres. En laissant les frontières se refermer sur les vies les plus précaires, les vies des exilés sans ressources.